Hors de toute échelle humaine, un monstre d’acier devenu un haut lieu de l’art contemporain ? Bienvenue à la Völklinger Hütte, une ancienne usine sidérurgique (de la Sarre), totalement hypnotisante.
Gigantisme
Prêt pour un voyage dans un monde démesuré, dérangeant, merveilleux ? Monstre de métal et de tuyaux enchevêtrés, l’ancienne usine sidérurgique qu’est la Völklinger Hütte, près de Sarrebruck, force l’explorateur à monter et redescendre les étages, à s’élever dans les airs comme à fouiller ses entrailles. Le site vibre encore des efforts des 17 000 ouvriers qui travaillaient là au plus fort de son activité. On y erre dans les odeurs d’huile mécanique, parmi la rouille rongeant les tuyaux monstrueux, face à la poésie de petits Lego ® colorés colmatant un trou dans un mur, mais aussi dans la pénombre de salles d’engrenages géants… On se perd dans des écrans vidéo placés horizontalement pour plonger dans des univers oniriques : les sens du visiteur sont quelque peu désorientés, en s’aventurant dans la Völklinger Hütte.
Splendeur et nazisme
Ouverte en 1873, la Völklinger Hütte a été le premier monument industriel inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, en 1994. Elle a été la plus grande productrice de poutrelles d’Allemagne, détenteur de la majeure partie des brevets mondiaux dans le secteur du fer et de l’acier. Témoin de la révolution industrielle allemande, elle a forcément frayé avec le nazisme, a eu recours aux travailleurs forcés. Le plasticien Christian Boltanski a créé une installation en leur mémoire.
Art multimédia et urbain sur mesure
L’activité de l’usine a décliné à partir des années 1970, puis s’est arrêtée en 1986. Avant de renaître en un patrimoine culturel à partir de 1999, grâce à des expositions multimédia adaptées au site et, depuis 2011, l’Urban Art Biennale, consacrée à l’art urbain : la plupart des œuvres sont créées in-situ, donc toujours visibles sur le site. Mais des expositions très conceptuelles, mêlant l’art à l’histoire du site et de son environnement, sont proposées en permanence.
De rouille et de nature
Le visiteur peut s’aventurer à la « Rencontre au sommet, » sur l’impressionnante plateforme panoramique, au-dessus des hauts fourneaux à 45 mètres de hauteur. Sur ce site gigantesque, il évolue également dans l’ancien château d’eau, l’atelier des wagonnets et la salle des minerais, passant sans cesse de l’intérieur à l’extérieur. Au fond du site, le Paradis – nom donné à ce lieu aux températures infernales puisque l’on y travaillait le métal en fusion - recèle de nombreuses surprises : un King Kong géant de l’artiste Ottmar Hörl, des œuvres sculptées dans le béton, des peintures murales...Depuis l’arrêt de l’activité industrielle, des espèces animales sont réapparues de manière absolument naturelle : poissons, grenouilles, oiseaux...Et la végétation reprend aussi ses droits dans cet ancien enfer devenu un coin de paradis sauvage où l’on peut se poser pour pique-niquer.
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Plus d’un siècle de cinéma allemand
Parmi les expositions à voir actuellement (jusqu’en août 2024), figure un éblouissant panorama immersif du cinéma allemand depuis ses débuts, soit deux mois avant les frères Lumière ! Dans les 6000 m² de la salle des soufflantes sont disséminés une trentaine de moniteurs vidéo et 97 écrans de toute taille, en hauteur ou en profondeur, qui habitent véritablement cet immense espace plongé dans la pénombre. S’y dévoile un panorama totalement immersif du cinéma allemand de 1895 à 2023.
Cette performance multimédia présente des extraits de films, de l’époque des pionniers, des années 1920, en passant par le national-socialisme et la culture cinématographique d’un pays scindé en RFA et RDA, jusqu’au cinéma de l’Allemagne réunifiée après 1990.
Marlene et Metropolis
Un chapitre entier est consacré à Metropolis, film monumental de Fritz Lang. Zoom sur la danse du robot Maria au « Yoshiwara », écrin de toutes les luxures. Son costume de strass, de perles et de plumes a d’ailleurs été recréé pour cette performance. Des vitrines sont consacrées à de grands acteurs, dont Marlene Dietrich. On y découvre notamment le cruel et cynique destin de l’acteur Kurt Gerron (L’ange bleu, Journal d’une fille perdue) : ayant fui le nazisme à Amsterdam, il y est arrêté, déporté en camp de concentration, puis contraint de tourner le film Theresienstadt avant d’être assassiné à Auschwitz. Cette magistrale exposition est le fruit d’une collaboration avec la Deutsche Kinematek de Berlin.
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Depuis le Big Bang en BD
A voir aussi, l’exposition « L’histoire de la planète A », dans laquelle l’illustrateur allemand Jens Harder livre sa vision en bande dessinée de 14 milliards d’années de l’histoire de la Terre. Dans la salle des minerais, les planches forment une frise chronologique horizontale qui peut également être lue à la verticale. Cette encyclopédie est d’autant plus impressionnante que l’auteur n’a inventé aucune image : toutes sont le fruit de plusieurs années de recherches.
On y découvre les galaxies, les dinosaures, l'Homo erectus et l'Homo sapiens, les premières villes, les systèmes d'écriture, la poudre à canon, les révolutions, l'ère des machines et de l'informatique jusqu’aux effets du réchauffement climatique d'aujourd'hui. A savoir : les œuvres de Jens Harder sont éditées en français chez Actes Sud.
Pas bêtes, les chèvres
Ces expositions, et d’autres encore, marquent le 150e anniversaire de la création de l’aciérie et de son impact sur son environnement immédiat. On y apprend que quand les paysages alentour étaient couverts de poussière lors de l’exploitation du site, les chèvres avaient appris à souffler sur l’herbe avant de la brouter…
Weltkuturerbe Völklinger Hütte, Rathausstrasse 75-79, Völklingen (Allemagne). Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h (18 h à partir du 31 octobre). Tarifs de 15 € à 20 € (gratuit pour les moins de 17 ans). Visites guidées du site en français. Programme complet sur https://voelklinger-huette.org/fr/
Auteure et crédit photo : Lucie Michel