La talentueuse Marcelle Cahn (1895 - 1981) fait l'objet jusqu'au 31 juillet d'une grande rétrospective au sein du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. On vous ouvre les portes, pour vous donner envie d'aller voir son œuvre de plus près.
Elle a côtoyé les plus grands, de Fernand Léger, dont elle a été l'élève, à Wassily Kandinsky, en passant par Jean Arp, Piet Mondrian, Theo van Doesburg ou encore Le Corbusier. Marcelle Cahn reste pourtant une artiste méconnue, tant en « France de l'intérieure » qu'en Alsace. Alors que ses œuvres, qui mêlent rudesse du cubisme et sensibilité de l'art abstrait, sont largement représentées au sein de ses collections, le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg a décidé de lui rendre hommage.
Une alsacienne à Paris
Enfant du pays, Marcelle Cahn est née alors que notre région était sous administration allemande. Elle a grandi au sein d'une famille de banquiers et de commerçants juifs mélomanes et cultivés. Elle-même joue du piano et du violon, des références musicales que l'on retrouve dans une grande partie de son œuvre. En parallèle à ses études de littérature et de philosophie, elle se forme au dessin, à Strasbourg tout d'abord, avant de partir à Berlin pour suivre les cours de Lovis Corinth et Eugen Spiro.
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À la sortie de la Grande Guerre, c'est Paris qui va attirer Marcelle Cahn. La jeune alsacienne va s'y former, puis intégrer le milieu de l'art abstrait, tout en réalisant de nombreux aller-retour vers sa ville maternelle. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s'installe définitivement dans le XIVe, rue Daguerre.
Ces nombreux va-et-vient caractérisent également sa carrière artistique. Tout au long de sa vie, Marcelle Cahn n'aura de cesse d'alterner périodes d'échanges prolixes et de travail en solitaire, peintures géométriques et compositions « lyriques », dessins, tableaux en relief, sculptures, poèmes, collages... Un parcours créateur qui traduit le goût de l'artiste pour la liberté, dans une démarche qui vise à s’appuyer sur le minimum de ressources disponibles, pour mieux révéler la poésie du quotidien. Ce cheminement est parfaitement repris au travers des 10 pièces formant l'exposition, comme autant d'étapes dans la « quête d'espace » menée par l'artiste.
Du cubisme au spatial
On y voit les premières peintures de Marcelle Cahn, centrées sur la figure humaine qui apparaît soit dans des volumes cubistes, faisant appel avant tout aux couleurs et aux formes géométriques, soit sous forme de traits bien marqués. Certaines sont accompagnées d'esquisses, pour entrer encore davantage dans la démarche de création de l'artiste. Marcelle Cahn se dévoile et on s'attendrait à voir surgir la jeune femme d'alors au détour d'un couloir, un crayon à la main. Puis vient la période puriste et ses œuvres bien connues, comme le fameux « Femme et voilier » dans lequel les lignes arrondies du buste féminin sont mises en lumière par l'arrivée d'une grande voile blanche, sur un fond aux couleurs sourdes et posées en aplats. Affiches et catalogues viennent rappeler que l'artiste alsacienne a alors participé à de nombreuses expositions et actions de soutien au courant abstrait.
La quatrième salle revient sur la période de profonde solitude vécue par Marcelle Cahn dans les années 1930. Ses dessins de têtes d'enfants, de chats, de mains signent comme un retour aux sources alors que dehors, la période se fait trouble. Au retour de la guerre, l'artiste alterne toujours entre abstraction géométrique – cette fois-ci sur fond blanc, comme pour mieux symboliser la période de reconstruction qui commence – et lignes courbes. À l'encre de Chine, elles illustrent parfois les petits poèmes que compose la peintre, et qui dévoilent un autre pan de sa création, fait de lyrisme et de besoin d'évasion. Animés par les lignes, ses motifs de prédilection se mettent à danser, comme la musique qu'elle affectionne. Vient ensuite, comme une synthèse, un ensemble remarquable de tableaux-reliefs.
Gommes, autocollants et matériaux divers
De la ligne, Marcelle Cahn passe peu à peu aux volumes, inspirée par ces boîtes de médicaments, petites pillules contre l'angoisse qui, une fois dépliées, ressemblent étrangement à des engins spatiaux. Ce sera sa conquête de la lune... Elle est faite de constructions et de déconstructions qui vont amener l'artiste à utiliser de plus en plus les techniques de collage. Nous sommes à la fin des années 1960, Marcelle Cahn intègre une maison de retraite pour artistes et continue de créer avec les matériaux qu'elle a sous la main : papiers de couleur, autocollants, produits de pharmacie, laine et tissus divers, enveloppes, lames de rasoir, tickets de métro, restes d’emballage sont réutilisés, rehaussés d'un coup de crayon, de craie grasse ou de peinture blanche, comme pour mieux être sauvés de leur destruction. L'artiste aborde la vieillesse avec une fraicheur, une liberté et un humour nouveaux, qu'elle entretiendra jusqu'à sa mort.
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Un an avant son décès, Marcelle Cahn fait don au Musée d'art moderne de Strasbourg d'une grande partie de son œuvre, soit près de 350 productions originales (dont plusieurs peintures inachevées), livres, et correspondances. Un fonds qui trouve dans l'exposition actuelle sa présentation la plus complète et témoigne, au-delà des œuvres, d’une personnalité attachante. Elle est complétée de mentions au sein de la collection permanente du Musée, pour évoquer les liens tissés avec les autres artistes de cette époque, comme autant d'indices égrainant une chasse aux trésors que d'aucuns voudraient poursuivre jusqu'au bout de la nuit. De nombreux ateliers et animations sont d'ailleurs prévus cet été pour rendre cette rétrospective encore plus humaine (voir ci-dessous).
Et pour ceux qui la rateraient à Strasbourg, sachez que l'exposition « Marcelle Cahn. En quête d’espace » sera également visible du 24 octobre 2022 au 5 mars 2023 au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne, puis du 1er avril au 30 juin 2023 au musée des Beaux-Arts de Rennes.
Marcelle Cahn. En quête d'espace
Exposition de plus de 400 œuvres et documents de l'artiste, issus des collections publiques et privées de France et de l’étranger.
- Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg - 1, place Hans-Jean Arp
- Tous les jours (sauf le lundi) jusqu'au 31 juillet 2022, de 10h00 à 18h00
- Commissariat général : Cécile Godefroy, historienne de l’art et commissaire indépendante
- Commissariat associé : Barbara Forest, conservatrice en chef du Patrimoine au MAMCS, et Alexandre Quoi, responsable du département scientifique au MAMC+ (Saint-Étienne).
Renseignements sur https://www.musees.strasbourg.eu/marcelle-cahn.-en-quête-d-espace
Sur les pas de Marcelle Cahn
Visite urbaine organisée par le Cercle des amis de Marcelle Cahn et le 5e Lieu. Elle mènera le promeneur dans les rues de Strasbourg, à la recherche des lieux qui ont compté pour l'artiste. Le 26 juillet 2022 à 14h30
Au pays de la géométrie
Atelier à partir de 4 ans, pour créer, détourner et jouer avec des cartes postales d’un drôle de pays – à l'image du travail de Marcelle Cahn.
Le 03 juillet 2022, de 14h30 à 17h.
Playtime
Projection du film de Jacques Tati, sur le parvis du MAMCS
Une séance de cinéma en plein air pour voir et revoir M. Hulot et ses aventures urbaines où il découvre l’architecture moderne parisienne des années 1960. Fascinée par le quartier de la Défense, Marcelle Cahn s’est laissée emporter par ce même tourbillon de la ville moderne où règne l’ordre et la géométrie, puis le chaos.
Le 08 juillet 2022 à 22h00
Autour de l’exposition « Marcelle Cahn. En quête d’espace »
Visites guidées les 03, 17 et 31 juillet 2022, à 11h00
Suivez le crayon, spécial Marcelle Cahn !
Crayon et dépliant à la main, découvrez les oeuvres de l’exposition « Marcelle Cahn. En quête d’espace » sous un autre angle à l’aide de consignes ludiques et décalées.
Les 13, 20 et 27 juillet 2022, à 15h30
Auteure : Nathalie Stey
A propos de l'auteure
Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.
« Le rêve est l’aquarium de la nuit », exposition photo de Bénédicte Bach, visible du 4 mars au 9 avril 2022 à la galerie La Pierre Large, 25 rue des Veaux à Strasbourg.
Renseignements : par téléphone au 06.16.49.54.70 ou sur Internet www.galerielapierrelarge.fr