L’artisanat est-il soluble dans l’art ?

Embellir le quotidien est leur intime mission, multiplier les expositions leur nécessité : les artisans d’art d’Alsace réunis au sein de la Fremaa se dévoilent en toute discrétion. 

Devinette : que réalisent un taillandier, une vannière, une créatrice en corseterie, un poêlier, un ennoblisseur textile, une malletière, un archetier, un harnacheur ? Si votre vocabulaire coince un peu, cet article est pour vous. Ces savoir-faire qui fleurent bon le passé, le terroir et la durabilité sont ceux de certains des artisans d’arts réunis au sein de la Fremaa. La Fédération des métiers d’art d’Alsace réunit 170 artisans d’art, principalement du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, mais certains viennent de plus loin dans le Grand Est. 

Artisan d’art n’a rien d’une dénomination floue ou d’un supplément marketing, le concept est clairement défini par une loi de 2014 : relèvent des métiers d'art ceux qui exercent une activité indépendante de production, de création, de transformation ou de reconstitution, de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière et nécessitant un apport artistique.

Dit plus joliment par la toute nouvelle présidente de la Fremaa, élue en mai, la laqueure Nathalie Rolland-Huckel, artisans d’art et artisans sont liés par la transformation de la matière. « Là où l’artisan se caractérise par la répétition et la maîtrise du geste, l’artisan d’art ajoute une réflexion artistique, ce qui le rend plus proche de l’artiste. Mais pour moi, c’est la beauté de l’objet qui prime. D’ailleurs, au Japon, on ne fait pas la distinction entre artiste et artisan. »

Le secteur des artisans d’art est d’autant plus réjouissant qu’il réunit 282 métiers dans 16 domaines artistiques, dans un véritable inventaire à la Prévert : écailliste, cornier, pipier, calligraphe, dominotier, bronzelier, dinantier, laqueur..

Laqueure, kesako ?

C’est le métier de Nathalie Rolland-Huckel, qui se définit comme tel, avec un « e » pour le féminin, à la fin du nom. Il consiste à recouvrir de laque des objets pour leur donner de la solidité, de la beauté, comme cela se pratiquait déjà en Chine il y a des millénaires. « Je recouvre des objets en céramique et en bois selon la technique de la laque française, tel que c’est pratiqué en France depuis le XVIIIe siècle. » 

Partie initialement du bijou, Nathalie Rolland-Huckel a démultiplié ses surfaces, travaillant aussi de grands vases, des coupes, des panneaux d’ornement. En parallèle, elle conçoit des services de table pour la maison Hermès et dessine puis laque des pièces uniques et des fonds de montres pour la maison de luxe française. 

Concilier travail d’artisan et d’artiste : l’un est-il soluble dans l’autre ?

 

Pas du tout !, répondent  Nathalie Rolland-Huckel et son successeur Christian Fuchs, sculpteur sur pierre. Mais « l’un nourrit l’autre », observe ce dernier, qui travaille sur de nombreux chantiers de cathédrales et a notamment œuvré au château de Versailles. « Le travail demandé sur les monuments historiques me sert dans mes créations personnelles », précise cet artiste devenu artisan d’art « par nécessité économique ». De son travail artistique, Christian Fuchs dit faire ce dont il a envie. « Dès que j’ai l’impression que je me répète, je passe à autre chose. » Il a même collaboré avec une plumassière et avec une céramiste. 

Zoom sur la place des Tripiers, à Strasbourg, où le Liebenzeller, réalisé en bronze par Christian Fuchs, rappelle le véritable personnage qui en 1160 était à la tête des Strasbourgeois pour se révolter conter le pouvoir des évêques. Les révoltés ont gagné, la ville devint une ville libre.

Christian Fuchs
© Yves Trotzier

« L’équilibre entre travail de commande et créations personnelles dépend de la façon de chacun à trouver son modèle financier », remarque Nathalie Rolland-Huckel. Pour sa part, elle a pour objectif de ne pas occuper plus de 50 % de son temps avec du travail de commande. 

Depuis quelques années, les artisans d’art si discrets sortent de leur réserve et multiplient les salons pour se faire connaître. Créée en 1996, la Fremaa, multiplie donc les sorties officielles au cours de l’année : le salon Résonance(s), au parc-expo est un peu « le vaisseau-phare ». « Ce salon européen des métiers d’art à la ligne très contemporaine nous a permis d’obtenir une dimension nationale et internationale au niveau des artisans. Résonance(s) est un salon où l’on vend bien : 1,2 millions d’euros en vente directe, pour environ 170 exposants », indique Nathalie Rolland-Huckel. 

A quoi ressemble un artisan d’art ? Facile !

Il suffit de pousser la porte des ateliers ouverts lors des Journées européennes des métiers d’art. Les nombreuses démonstrations visent notamment à informer le jeune public sur ce secteur encore discret. Ou de se rendre à l’exposition vente « Haut la main » en mai à Obernai, qui met l’accent sur les jeunes talents de ces métiers. « Il existe une jeune garde en Alsace », se réjouit la nouvelle présidente de la Fremaa.

A ceux qui pourraient penser que les beaux objets à supplément d’âme sont hors de portée de leur bourse, la manifestation De toute matière, à Turckheim en juin, présente des objets d’un quotidien réenchanté, à petits prix, et organise des ateliers et des démonstrations. 

Quand donc les fables de la Fontaine peuvent-elles devenir des trésors ?

A partir du moment où les artisans d’art s’en emparent ! Ce sera le cas lors de l’exposition Trésors, en septembre à la galerie Decorde à Strasbourg, tournée vers la création contemporaine. Les fables de la Fontaine sont le thème fixé cette année pour faire plancher les artisans d’art. « Nous devons faire des recherches, sortir de notre zone de confort... »

Et en fin d’année, les artisans d’art exposent leurs créations au salon-boutique Oz, à l’Aubette. 

C’est bien beau, tout ça, mais ça ne suffit pas au sculpteur Christian Fuchs. Quand il était président, jusqu’au mois de mai, il avait pour projet d’ouvrir une boutique pérenne à Strasbourg. Un projet de longue haleine que la nouvelle présidente étoffe encore. « Je vais encore plus loin ! J’aimerais ouvrir un centre européen des métiers d’art, avec une boutique, une galerie, un centre de ressources pourvu en livres, des espaces professionnels. Ce serait un lieu d’échanges et de résidences d’artistes. » Un beau projet pour faire infuser l’artisanat plus avant encore dans le quotidien. 

Auteure : Lucie Michel

Rédactrice chez Batorama depuis 2020

J’aime Strasbourg pour ses restaurants de touristes, ses gargotes tibétaines et ses approximations de tartes flambées : un peu…
J’aime Strasbourg pour la diversité de ses musées : beaucoup. 
J’aime Strasbourg pour le temps inscrit dans ses architectures : passionnément ! 
J’aime Strasbourg pour la vie spontanée et festive le long des quais aux beaux jours : à la folie ! 
J’aime Strasbourg pour sa confrontation piétons-cyclistes : pas du tout ! Préférons donc le bateau !


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