Grisailles éblouissantes, parures de tout âge et caves bien avant la bière : comment être plus instruit à l’issue de découvertes d’hier et d’aujourd’hui à découvrir au cœur de trois expositions éclairantes.
Grisailles et splendeurs, à l’Oeuvre Notre Dame
La période est d’autant plus méconnue que ses témoignages sont d’une grande rareté : la période 1560-1600, c’est-à-dire la fin de la Renaissance. En effet, fresques, sculptures, vitraux ont disparu avec les bâtiments de cette période. Qui fut pourtant marquée à Strasbourg par des souffles artistiques et architecturaux nouveaux, parfois à l’origine de polémique ! Ainsi, deux artistes, graveurs et peintres de décors, alors très réputés dans le monde germanique, sont à découvrir actuellement au musée de l’Oeuvre Notre Dame.
Le premier est Wendel Dietterlin, peintre de façades et graveur. On peut sans conteste qualifier son imagination de purement débridée. En témoigne son recueil Architectura dont des planches sont projetées sur un mur du musée. Débridé, vraiment ? Si, si. Par exemple : cerfs, licornes, lions et rongeurs se rencontrent en un bestiaire délirant pour composer un porche de pierre irréalisable, mais à admirer dans son traité qui est un chef-d’œuvre de la gravure maniériste !
Première fois en public
Du second artiste, Tobias Stimmer, on découvre des grisailles lumineuses ! Restaurées, elles sont montrées pour la première fois au public : il s’agit des peintures des sculptures qu’il a imaginées pour la seconde horloge astronomique de Strasbourg. Cerise sur le gâteau : ces sculptures, qui sont les originales du carrousel de l’horloge, sont exposées face aux dessins originaux. On peut ainsi les voir de face, de dos, et non plus seulement d’en bas ! Il est très émouvant de replonger ainsi dans une période de l’histoire de l’art locale si riche, et pourtant tombée dans l’oubli.
« 1560-1600, le renouveau des arts », jusqu’au 19 mai au musée de l’Oeuvre Notre Dame à Strasbourg. Ouvert de 10h à 13h et de 14h à 18h du mardi au vendredi, samedi et dimanche de 10h à 18h. Entrée libre le 1er dimanche du mois.
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Être ou paraître, au Mamcs
Déguisement, affirmation de statut ou parure ? Le vêtement ne choisit pas : il est tout cela. L’acquisition récente de l’installation murale Mise en musique de l’habit de ville de type nouveau de Vladimir Tatline, de Michel Aubry, est une riche idée. Car elle a donné lieu à un réjouissant accrochage d’une soixantaine d’œuvres du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (Mamcs) qui questionnent la représentation du costume, en l’occurrence de 1860 à nos jours.
Le visiteur rencontre ici Victor Hugo, mais aussi le directeur des Dernières Nouvelles d’Alsace du début du XXe siècle, ainsi qu’un chapeau à épingle d’Auguste Renoir. Qu’il soit costume, accessoire de travail, témoin de la mondialisation ou expression d’une identité, relique ou parure de beauté, le vêtement est pluriel, assumé ou négligé, mais toujours signe extérieur de soi.
La cravate sans nœud
Les premières chemises identifiées remontent à l’Antiquité mais ici, elles soulignent un statut social : celui du pouvoir quand elle est associée à un costume-cravate, celui du travail manuel dans deux beaux autoportraits des peintres Robert Heitz et Luc Hueber. Plus déroutant, ce portrait de Benyounès Semtati : le personnage est terriblement anonyme dans son costume tellement passe-partout qu’il ne dit plus rien. Et pourtant, tout dérange : la cravate n’a pas de nœud, la veste n’a pas de col et le regard de l’homme est perdu.
Dans un boudoir rose sur le thème de la parure, tout n’est que beauté ou excès assumés, des inquiétantes Las Meninas très freak du photographe Joel-Peter Witkin aux photographies queer d’Ugo Rondinone. L’appel des feux de la rampe s’inscrit sur fond orange, sur le thème du déguisement et du travestissement au théâtre, à l’opéra, au ballet, au bal masqué, au carnaval... Ou quand Toulouse-Lautrec rencontre Jean Cocteau et Alfons Mucha pour s’affranchir des convenances.
« Être ou paraître, le costume et ses représentations » au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (Mamcs) jusqu’au 11 août. Ouvert de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h du mardi au vendredi, samedi et dimanche de 10 h à 18 h. Entrée libre le 1er dimanche du mois.
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Le Dinghof de Schiltigheim, un retour sur l’habitat au temps des Mérovingiens
Il n’y a pas que les bières Fischer, Espérance et Schutzenberger, à Schiltigheim. Il y a aussi la marque Adelshoffen, qui rappelle le nom d’un hameau, lequel a fusionné avec Schiltigheim à la fin du XVIIIe siècle. Et c’est justement sur une parcelle de cet ancien hameau que vient d’être découvert un Dinghof...Des fouilles archéologiques récentes ont donné formes et réalité à ce que les archives savaient déjà : le Dinghof d’Adelshoffen a existé dès le XIIe siècle jusqu’au début du XIXe siècle.
Mais qu’est-ce que cette institution majeure, si incontournable au Moyen âge, et devenue totalement méconnue au XXI siècle ? « Ding » signifie « plaid » (assemblée au réunion) et « Hof » cour, donc la cour de l’assemblée.
Il s’agissait d’une cour domaniale qui régulait et gérait la vie des campagnes d’Alsace et du sud-ouest germanique. Ce Dinghof-là dépendait des chanoines de l’église Saint-Thomas de Strasbourg qui louaient leurs terres à des paysans.
Les fouilles menées récemment permettent notamment de comprendre la vie en Alsace au temps des Mérovingiens, quand les habitats ruraux se développent, aux VIIe et VIIIe siècles. Il s’agit alors de constructions légères qu’on déplace régulièrement. Mais quand les surfaces d’exploitations se développent, l’habitat se sédentarise autour d’une église et sous l’autorité d’un seigneur : on est au XIIe s., à l’heure des premiers Dinghöfe. Outre l’histoire passionnante de l’habitat local, sont exposés les fragments découverts dans ses caves : carreau de poêle en céramique orné d’un griffon, tessons de poteries, morceaux de vitres, énigmatique fragment d’une dalle funéraire hébraïque…
« Un Dinghof de Schiltigheim », au musée archéologique (Palais des Rohan), jusqu’au 6 janvier 2025. Visite guidée « Les dessous du Dinghof » dimanche 14 avril à 15 h. De 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h en semaine (fermé mardi) et de 10 h à 18 h le week-end.
© Lucie Michel
Auteure : Lucie Michel
Rédactrice chez Batorama depuis 2020
A propos de l'auteur
J’aime Strasbourg pour ses restaurants de touristes, ses gargotes tibétaines et ses approximations de tartes flambées : un peu…
J’aime Strasbourg pour la diversité de ses musées: beaucoup.
J’aime Strasbourg pour le temps inscrit dans ses architectures: passionnément!
J’aime Strasbourg pour la vie spontanée et festive le long des quais aux beaux jours : à la folie!
J’aime Strasbourg pour sa confrontation piétons-cyclistes: pas du tout ! Préférons donc le bateau !