Où découvrir de véritables objets sacrés d’Afrique, où errer entre le monde des vivants et celui des esprits ? Au musée Vodou, à Strasbourg, où sont exposés dix ans de trésors.
Vous voulez vivre une expérience sensorielle en toute conscience, en toute intelligence ? Il faut alors pénétrer au musée vodou à Strasbourg, dans un château d’eau du XIXe siècle. Depuis dix ans, le musée évolue à la croisée de chemins.
« Entre le monde visible et le monde invisible, entre l’Europe de l’ouest et l’Afrique de l’ouest, entre l’intime et le collectif, entre les croyances et les sciences, entre l’expérimental et la théorie », précise Adeline Beck, l’administratrice de ce lieu ouvert pour accueillir la vaste collection d’objets vodou (plus de 2500 pièces) des collectionneurs Marc et Marie-Luce Arbogast.
Que sont les objets présentés ? On ne le sait pas toujours, certains gardent leur part de mystère car ils ont été réalisés dans le secret entre le prêtre et le pratiquant. Cela n’enlève rien à leur puissance vibratoire et aux émotions qu’ils suscitent chez le visiteur. C’est bien pour cette raison que cinq des proches du musée les ont choisis : ils sont considérés comme de petits trésors au pouvoir inexplicable mais quasi palpable.
Agir sur les vivants
Vodou ou vodoun ? L’exposition « Trésor Vodoun » a choisi l’orthographe vernaculaire togolaise, avec un « n » final à peine prononcé. Le vodou une religion englobant des rituels, des pratiques et des croyances. Il puise vers le XVIIe siècle ses racines dans l’ancien royaume du Dahomey et il est aujourd’hui pratiqué au Bénin, au Togo, au Nigéria, au Ghana. Il existe aussi bien plus loin, sous d’autres formes : à Cuba, au Brésil, en Louisiane, en Haïti.
Cette spiritualité repose sur les vodou qui constituent un panthéon de plus de 400 divinités. Un vodou est donc une divinité. Elle agit pour faire communiquer le monde des vivants (humains, animaux, plantes) avec le monde invisible (celui des divinités et des ancêtres), pour faire intervenir ces esprits dans le monde des vivants.
Objets-dieux à porter
Mi-femme mi-reptile, une statuette en bois, toute croûteuse à force d’offrandes, représente Atchakpa, vodou des eaux douces et des enfants morts dans l’eau ou dévorés par les crocodiles. D’une beauté hypnotique, elle arbore des éléments en métal, en corde, en paille, en perles…Et elle a été maintes fois recouverte de sang animal, « versé pour qu’on puisse l’activer ».
En tissu, coquillages et cordelette, une amulette Tila intrigue par sa texture qui donne envie de la toucher. Ce qu’il faut faire (mais pas au musée) ! Car les Tila sont des objets-dieux portatifs que l’on revêt pour renforcer sa puissance en se protégeant des mauvaises rencontres.
Le sort du jumeau restant
Pourquoi les jumeaux auraient-ils une seule âme pour deux ? C’est ce que croient les adeptes du vodou. D’où ces objets rituels de la section « Je t’aime, je te hais » consacrée aux jumeaux ou aux triplés. Ils ont été fabriqués pour le jumeau survivant quand l’un des deux décède. Ainsi deux sont ficelés tête-bêche, des triplés sont ficelés très serré. Qu’ils soient créés pour des jumeaux ou des familles, ces objets sont bénéfiques.
Mais tous ne le sont pas : le pouvoir dont ils sont investis peut être bénéfique…comme maléfique ! « Si une personne a un souci, elle consulte le prêtre qui tire le fa (divination). Selon les signes qui se manifestent, le prêtre se fait indiquer quelle sorte d’objet il doit réaliser - ou faire réaliser - pour l’investir du pouvoir recherché. »
Ces objets perdent évidemment leur intérêt quand ils ont rempli leur office. Raison pour laquelle ils se sont retrouvés sur des marchés, à la vente. Mais certains pays d’Afrique reconnaissant enfin la pertinence de ce patrimoine tant populaire que spirituel, ces pièces ne peuvent plus quitter le Bénin et le Nigéria, par exemple.
Joyeux syncrétisme
Quelle surprise face à un crucifix détourné en objet rituel vodou, recouvert de ficelle, de résine et de matières sacrificielles ! « Soit les adeptes du vodou ont intégré le dieu des Blancs pour lui donner plus de pouvoir, soit ils se sont dit : On fait semblant d’être chrétiens, mais on continue à faire du vodou », raconte tranquillement Adeline Beck, humble face aux multiples interprétations possibles d’un tel syncrétisme.
Le Dieu des Blancs est donc crucifié aux côtés du dieu de la foudre, qui s’occupe des personnes mortes foudroyées. Des défunts particulièrement malchanceux qui nécessitent des soins particuliers, puisqu’ils sont considérés comme de « mauvais » morts et bénéficient de cérémonies sacrificielles très particulières. Celles-ci se terminent par une lapidation du cadavre, ce qui ravit les proches dont le défunt a enfin retrouvé une âme en paix.
Le retour du vodou
De beaux visages nous parlent par-delà les milliers de kilomètres de leur provenance. Poterie ou statuettes en bois, artefact en terre : un monde muet parle au visiteur. Tous ces objets, qui ont touchés les artistes occidentaux au début du XXe siècle par leur forme particulièrement épurée, témoignent d’une grande vitalité : ils protègent des maisons, des familles, la santé du demandeur ou ils éloignent les revenants. Mais ils ne dévoilent jamais toute leur signification. C’est ce qu’il faut accepter de ces objets : se laisser aller à les regarder, se laisser toucher.
A l’heure de la connexion pour tous, de l’immixtion de la science à tous les étages des vies humaines et de l’intelligence artificielle, le vodou a-t-il encore autant de poids en Afrique ? « On assiste même à une sorte de retour du vodou au Bénin et au Togo, où les religions occidentales et l’islam sont délaissés. » De quoi encore plonger dans cette spiritualité qui nous est totalement étrangère.
« Trésor Vodoun, au cœur des arts sacrés d’Afrique », au musée Vodou à Strasbourg ( 4 rue de Koenigshoffen) jusqu’au 12 janvier 2025. Ouvert tous les jours de 14 h à 18 h (21 h un vendredi sur deux). Entrée : 14 €. Audioguides en français, anglais, allemand, espagnol.
Auteure : Lucie Michel
Rédactrice chez Batorama depuis 2020
J’aime Strasbourg pour ses restaurants de touristes, ses gargotes tibétaines et ses approximations de tartes flambées : un peu…
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