Après nous avoir mis la tête dans les nuages, Bénédicte Bach nous invite à plonger dans un entre-temps liquide et cristallin. « Le rêve est l'aquarium de la nuit » est le titre de sa nouvelle exposition, visible depuis le 4 mars à la galerie La Pierre Large.
Quatre séries photographiques, accompagnées d’une vidéo et d’une installation lumineuse, qui nous immergent dans une autre dimension. Comme une parenthèse salutaire quand le quotidien qui nous assaille.
La phrase est tirée du roman « Les travailleurs de la mer » de Victor Hugo, dans lequel les marins, pensifs face à l'océan, y voient des créatures fantasmagoriques. Pour l'artiste alsacienne, il ne s'agit pourtant pas de capturer les rêves, mais d'ouvrir notre imaginaire grâce au support infini du fond de la mer vu depuis sa surface. À travers ses photos faites de sensations et de matières, elle interroge le rapport à l'espace et au temps. Une nouvelle forme de métamorphose, qui suit ses précédents travaux faisant appels aux papillons ou aux nuages.
Le linceul de nos rêves
Dès l'entrée dans la galerie, les visiteurs plongent dans une atmosphère de bord de mer. Pas celle des parasols, des tubes de crème solaire et du sable crissant dans une bouchée de beignet au chocolat. Non. Le monde de Bénédicte Bach est bien plus intimiste, plus vaste aussi, rythmé par le ressac des vagues. Des flots noirs, ourlés de dentelle, défilent sur un écran, accompagnés de sons désynchronisés, comme pour mieux amener l'observateur à perdre pied. Les vagues ainsi photographiées sont à la fois un début et une fin. Elles marquent la volonté illusoire de l'artiste d'arrêter le temps qui passe. « Insaisissable, éphémère et fragile, l’écume est le linceul de nos rêves qui laisse des cicatrices de sel sur la grève, explique Bénédicte Bach. On est dans une réalité qui est la mienne, celle de ces petites choses qui nous échappent ».
Nereides lacrimae
L'artiste nous invite à nous pencher au-dessus de l'eau pour explorer ses entrailles et prêter l'oreille aux multiples histoires que déverse la mer. Ses photographies prises de nuit tentent de capturer les larmes des sirènes, reflets du chagrin de ces amoureuses éperdues et des pleurs qu'elles versent, inconsolables, sur leurs amours impossibles. Instants fugaces : au petit matin, il n’en restera rien... « L'eau forme ici une frontière. Chacun imagine la suite de l'histoire comme il veut », note Bénédicte Bach. Elle-même se garde bien d'en franchir la limite. « Photographier ainsi les fonds permet de rentrer dans l'eau sans y être physiquement », complète-t-elle. D'autres n'hésiteront pas à s'y abimer.
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Marines
De jour, face à la mer – et non face à l'horizon – la clarté de l'Adriatique permet de plonger dans un espace à la fois proche et immense. Sous l'eau, les couleurs se mêlent, du jaune au bleu, dans un camaïeu changeant recomposant sans cesse le tableau, tandis que l'ondulation des vagues dessine de nouveaux décors. La photographe se noie dans ces paysages, et nous avec. Délicieusement...
Un caveau hors du temps
Mais continuons notre plongée. Le caveau de la galerie nous amène définitivement à flotter, comme un retour aux origines. Les gouttes de résine de La dernière pluie sont suspendues dans l'air. La cascade n'atteint pas le sol qu'elle se reflète déjà dans un miroir. Ou bien ces larmes en sont-elles issues, pour remonter, comme de l'encens, jusqu'à l'éther ? Il s'agit, pour Bénédicte Bach, d'aller voir de l'autre côté, telle Alice. Un dépassement qui transparait dans la quatrième suite de photographies, L'empreinte des vagues, projetées en grand format et haute définition. Des images d'ondes si précises qu'on n'y reconnaît pas la mer. « Mais ce n'est pas grave. L'idée est de voir plus loin que la réalité », affirme l'artiste. D'ailleurs ces vagues ne sont elles pas un simple reflet, le souvenir des vagues précédentes ? On finit avec une vidéo, Waterdrop, hymne à la goutte et à l'océan, filmé à Valence, Rome et … Schiltigheim, dans un bruit de flots canalisés.
« La mer est une obsession chez moi, mais elle est complexe à aborder. Immense, sauvage, elle ne se laisse pas capturer facilement. Cela peut être frustrant, mais ça laisse aussi la possibilité de trouver des chemins de traverse », reconnaît la plasticienne. La plupart des photos ainsi exposées ont été prises l'an passé en Croatie, sur la côte dalmate. Des prises de vues qui, pour Bénédicte Bach, s'apparentent à une véritable quête : « À chaque fois, je sais exactement ce que je cherche ; c'est comme d'aller à la pêche. Ensuite, j'aime bien laisser reposer les images, pour pouvoir me détacher de l'affect et des souvenirs. Prendre le temps dans le « faire », c'est tout aussi important que l'exposition elle-même », note-t-elle. Interroger la temporalité de notre monde ne peut ainsi être le fruit que d'un travail au long court, un travail que Bénédicte Bach décline d'ailleurs sur différents supports. « Ils me permettent de proposer de rentrer dans les images de différentes façons et, en rajoutant une dimension sonore, de faire un pas de côté par rapport à la photographie. Cela me donne davantage le choix des armes pour raconter mon histoire », conclut-elle.
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Une galerie pas comme les autres
La Pierre Large accueille environ 2 000 visiteurs chaque année. Il s'agit d'une des plus anciennes galeries d'art de Strasbourg. Depuis 2004, elle est dédiée à la photographie et à la vidéo contemporaines, et expose en alternance les œuvres de ses fondateurs, Benjamin Kiffel et Bénédicte Bach. Depuis 2019, ces derniers animent une association, le laboratoire de l’image contemporaine / LAB. Elle permet d'inviter 4 à 6 artistes chaque année, qui sont rémunérés et perçoivent l'intégralité des ventes réalisées à l'occasion de leur exposition. Elle mène également de nombreux projets de médiation, en coopération avec la Collectivité européenne d'Alsace ou encore la Maison de l'emploi, et des expositions hors les murs. « Nous sommes des artistes curateurs, explique Bénédicte Bach, à la fois commissaires d'exposition et nous-même créateurs. C'est un cumul intéressant, parce qu'il permet de réinterroger son propre travail ». Un cumul qui a cependant ses propres limites, puisque les deux artistes mènent ces projets de médiation de façon quasi-bénévole.
Auteure : Nathalie Stey
A propos de l'auteure
Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir.
« Le rêve est l’aquarium de la nuit », exposition photo de Bénédicte Bach, visible du 4 mars au 9 avril 2022 à la galerie La Pierre Large, 25 rue des Veaux à Strasbourg.
Renseignements : par téléphone au 06.16.49.54.70 ou sur Internet www.galerielapierrelarge.fr