Avec son seul en scène Monolove, la comédienne Houaria Kaidari lève un coin de voile, caustique et si juste, sur ce mystère qu'est la crise de la quarantaine, le temps d'une croisière-spectacle sur l'Ill.
« La crise de la quarantaine, ça va passer, disent les magazines féminins. Mais chez moi, ça a duré... ». A peine la péniche a-t-elle largué les amarres qu'Anna, quadragénaire divorcée, vide son sac dans son « appartement sans vis-à-vis, avec vue imprenable sur l'eau ».
Bienvenue dans Monolove, un monologue interprété lors d'une croisière-spectacle par la comédienne strasbourgeoise Houaria Kaidari. Avec ce spectacle mi-figue mi-raisin, l'artiste multiplie les premières : première écriture d'un seul en scène, première interprétation d'un monologue et première mise en scène.
On est d'emblée en empathie avec cette femme qui évolue au plus près du public. Cocon glissant sur l'eau, la péniche est un lieu assez idéal pour confier ses tourments intérieurs et ses questionnements de quadragénaire. Cette femme, très normalement laminée par la pression sociale, se demande à quel moment elle a bien pu trahir ses rêves de jeune fille, quand elle a commencé à dériver dans cette vie rangée, lisse et atone. Et le public savoure autant ses doutes sur la vie que la vue sur les quais et sous les ponts illuminés de Strasbourg au crépuscule.
Mariée en baskets
D'un gros carton, Anna ressort quelques souvenirs et, ô surprise, sa robe de mariée, symptôme d'une vie passée. Elle est très seyante, cette robe longue, portée sur un pantalon de jogging avec des baskets. Et du plus bel effet quand Anna se met à danser seule dans la cuisine américaine de son 30 m² sur la mélodie disco de Fame, d'Irene Cara. « Je l'aime, cet appartement, mais il est petit. Je l'ai pris car je n'avais pas le choix. J'ai l'impression de vivre dans un dépôt-vente. Pourtant, je n'ai que 20 cartons, c'est tout ce que j'ai gardé de mon ancien 150m² . » Après son divorce, Anna a dû déménager dans plus petit. « Je vieillis, et pourtant, cet appartement me rappelle mes 20 ans... ». Et puisqu'elle vieillit, Anna a décidé de faire une « pause affective » pour faire le point sur sa vie passée. Le coup de grâce de sa vie d'épouse ? « Le lit de 160 cm qu'on a acheté pour avoir plus de place. Je ne me suis jamais aussi sentie perdue que dans ce lit... ».
Miroir trop clinquant
Les magazines féminins lui tiennent lieu de compagnons matinaux, de miroir un peu trop clinquant. « Ils disent que tout est mieux à 40 ans. Mais quelle est la probabilité maintenant que je m'achète une petite maison dans le Midi ? » Si Anna réfléchit bien, elle ne peut qu'admettre qu'elle a fait jusque là tout ce que la société attendait d'elle. A savoir : « trouver » l'amour, LA grande obsession générale. « Trouver, trouver, on dit trouver la joie ? Trouver la colère ? On m'a appris à me méfier des hommes, et pourtant, il faut en épouser un ! ».
Anna est très touchante, et drôle, quand elle fait le point sur ses amours adolescentes – acnéique au dernier degré, elle était toujours leur plan B-, quand elle danse seule sur le langoureux Pearl de Sade, quand elle évoque les conseils de ses amies : « Refaire ma vie ? C'est faire à nouveau, faire autrement... Je ne veux plus d'un couple fusionnel ! »
Mais quand son grand amour de jeunesse laisse un message vocal sur sa messagerie, qui sait comment va réagir Anna ? Chacun imagine la fin qui lui plaît. Cela semble tout trouvé pour l'une des spectatrices, enthousiaste, que l'on entend confier à la fin du spectacle à une amie : « J'aimerais bien me marier sur une péniche. »
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Peu de risques
« L'idée d'écrire des pièces sur des sujets de société pour des croisières-spectacles est née dans le cadre d'une collaboration avec Batorama », confie la comédienne Houaria Kaidari, professionnelle depuis quatre ans. Auparavant, la jeune femme a évolué une dizaine d'années dans le domaine du théâtre amateur, lui laissant prendre de plus en plus de place dans sa vie. Son propre divorce a été un catalyseur, l'occasion plus qu'attendue de se demander ce qu'elle voulait vraiment faire.
« Je me suis dit : on y va et on verra bien. Jusque là, j'avais étouffé mes désirs et coché toutes les cases de la vie : un mari, un travail, des enfants, une maison... J'imagine l'enfant que j'étais et elle me dirait : tu as pris très peu de risques... »
La comédienne sait donc de qui elle parle à travers les mots d'Anna : d'elle et des nombreuses autres femmes qui nourrissent le besoin de faire le point vers 40 ans, pour quelque raison que ce soit.
La révolte de la quadra
« J'ai été frappée par toutes ces injonctions au bonheur : à 40 ans, on la sagesse, l'expérience, tout devrait être plus simple. Mais ce n'est pas vrai du tout, sauf à trouver le courage de sauter le pas. On nous dit que la femme de 40 ans est séduisante, mais on drague comment à 40 ans ? On a toujours cru qu'on n'avançait qu'à deux, alors on se demande : qu'est ce qui me fait avancer maintenant ? » interroge la comédienne.
Qui a soigneusement observé et disséqué la vie des autres quadragénaires. Elle y a relevé de la culpabilité, de l'absence de courage, de la force, aussi. « C'est une vie compliquée, faite de femmes qui sont sur des rails et s'oublient complètement, d'autres qui veulent prendre leur revanche et réussissent à se libérer. Autour de moi, j'avais une mine de modèles ! »
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Libérée par le théâtre
Avec cette sensation que « tout est possible sur scène », Houaria Kaidari a suivi des cours au conservatoire de Strasbourg pendant trois ans, a multiplié les stages amateurs et professionnels, a obtenu le premier rôle féminin dans la pièce Littoral, de Wadji Mouawad au théâtre de Bussang en 2018. « Cela a confirmé mon envie de faire du théâtre mon métier. » Avec trois autres comédiennes au parcours également atypique, âgées de 25 à 43 ans, elle a fondé en 2020 la compagnie Pied de biche (s), dont d'autres spectacles seront joués lors de croisières spectacles.
Monolove est à savourer lors d'une croisière le 19 avril et le 17 mai 2022. Autre spectacle de la compagnie Pied de biche (s) le 14 juin : Qui sème le vent. Réservations au 03.69.74.44.04.
Auteure : Lucie Michel