Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg assume une sélection purement subjective d’œuvres illustrant le « Dictionnaire abrégé du surréalisme ». Vivifiant.
A comme Absurde
Bienvenue dans ce petit salon cosy, avec son fauteuil et sa lampe à pied vintage, sous un joli tableau abstrait. Mais ne pensez surtout pas à vous y installer : le fauteuil est tellement incliné que la dure loi de la gravité attire vers le sol celui qui se risquerait à s’y asseoir ! Cette installation créée en 1983 par l’artiste suisse John M Armleder, Furniture sculpture n°50, est la première station de l’accrochage D’Absurde à Zibou, au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, en place jusqu’en juin.
A comme... Dérèglement de la logique
L’installation illustre la première lettre du Dictionnaire abrégé du surréalisme d’André Breton et de Paul Eluard (1938) qui sert de fil conducteur à une sélection d’œuvres choisies dans les collections du musée. S’y croisent des photos, des installations, des objets précieux, des peintures et des collages de différentes époques. « L’absurde est un dérèglement de la logique... jusqu’à l’absurde », imaginait Paul Eluard.
B comme Beauté
L’absurde n’est qu’un détail, une manière biaisée de voir la réalité : ainsi pensaient les artistes surréalistes qui aimaient à débusquer la beauté là où elle ne s’affichait pas : un corps tronqué par un détail architectural, un visage envisagé sous un certain angle... La beauté n’avait pour les surréalistes rien de classique : elle naît de l’inattendu. Elle est parfaitement illustrée ici par une photographie de l’Américain Robert Mapplethorpe. « La beauté sera convulsive ou ne sera pas », écrivait André Breton dans le dictionnaire.
Sur cet élégant tirage en grand format d’un homme nu, incongru dans un décor industriel, la beauté se dégage des contrastes entre le corps alanguis et les cordages qui l’entourent, de l’attention portée aux détails.
C comme Confrontations
Aucune chronologie artistique n’est ici respectée. Le propos est de susciter des émotions et de réveiller l’intuition des visiteurs par des confrontations inattendues. Le texte, à savoir les définitions surréalistes, n’est là que pour provoquer un jeu qui lie les œuvres de manière très subjective. De fait, l’accrochage laisse une grande liberté d’interprétation et d’appréciation au visiteur qui ose se prêter à ce jeu-là.
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D comme collage D-chiré
Tout est dans la définition de Léo Mallet qui a proposé de généraliser le procédé qui consiste à arracher par places une affiche de manière à faire apparaître fragmentairement celle(s) qu’elle recouvre. Résultat : le choix d’une œuvre rarement montrée au musée, magnifique collage-décollage en fragments noirs, rouges, blancs et jaunes, ready-made de Jasper Jorn, dont la forme peut faire songer le visiteur : on y devinerait presque une déclinaison du célèbre Baiser de Gustav Klimt...
E comme Extase
A la lettre E du dictionnaire, Salvador Dali a défini l’extase : « Elle constitue l’état pur d’exigeante et d’hyper-esthétique lucidité vitale, lucidité aveugle du désir (…) » Entre trois œuvres qui se répondent, le visiteur peut méditer et s’émerveiller de ce qui constitue une installation en soi : le portrait d’une femme en extase levant les yeux au ciel, signé Jean Brenner (1890), à côté d’un miroir rose aux ondulations lumineuses d’Ettore Sottsass face à une torsade de faux cheveux sur un guéridon.
H comme Humour
« L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, mais encore quelque chose de sublime », note Sigmund Freud dans le dictionnaire fil-rouge de cet accrochage vivifiant. Ici, toute latitude est laissée au visiteur pour jeter des ponts subjectifs sur ces œuvres qui relèvent parfois de l’humour potache, l’un des seuls moyens d’expression qui reste en dictature. Ainsi de l’œuvre Kitchen Suprematism du collectif russe Blue Noses réinterprétant en tranches de fromage et de saucisson une toile bien connue de Malevitch, mise en regard avec une œuvre explicite de Ben.
M comme oMbrelle ou comme Mensonge
Ou fakes news, comme on dirait aujourd’hui. « Ombrelle sur roue boueuse », annonce avec facétie le Dictionnaire abrégé du surréalisme. L’artiste Dennis Adams présente des photocollages intitulés Double features dans lesquels il associe des images tirées du film A bout de souffle, de Jean-Luc Godard, à des scènes du film La bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo : Jean Seberg et son insolente beauté de vendeuse insouciante du Herald Tribune au pays des femmes voilées et des combats de rue…
P comme Poésie
Le Dictionnaire abrégé du surréalisme n’est de loin pas qu’absurde : il est aussi très poétique et la déambulation dans cet accrochage est un moment de grâce suspendue. A la lettre C, on y découvre que « Quand les couleurs n’auront plus d’éclat, l’œil ira voir l’oreille ». Poésie aussi que celle de la lithographie sur papier de Jean-René Carrière. Noir sur noir, avec quelques mouvements de beige : un Sommeil incroyablement contemporain...pourtant signé en 1897. Les mots et les images s’entremêlent ici dans un monde onirique qui n’est propre qu’à l’art.
Retour à la 2e lettre
D’Absurde à Zibou, le visiteur évolue dans cette lecture très stimulante d’œuvres qu’on avait déjà vues mais pas aussi bien remarquées, sans doute. On croise un flacon de parfum d’Émile Gallé pour illustrer la citation de Georges Hugnet : « L’odeur de l’amour est une odeur de jour ». Et un dessin érotique de Tanguy associé à une facétie de Sade : « Allons, je vous pardonne et je dois respecter des principes qui conduisent à des égarements. »
Le parcours mène à la lettre Z laissée au génial Alfred Jarry : « Zibou, Zibou, embrasse-moi de tes pures lèvres de corne, serre mes doigts de la faux quadruple de ton gantelet. Zibou, tu as chanté ! ». Mais au fait, qui est Zibou ? La solution est à trouver à la lettre B des œuvres du musée…
Auteure : Lucie Michel
« D’Absurde à Zibou », exposition au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, jusqu’au 19 juin 2023. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Entrée : 7,50 € (3,50 € tarif réduit)