A Strasbourg, l'accès aux mondes invisibles du vodou se fait par l'ascension d'un ancien château d'eau construit à la fin du XIXe siècle.
Bienvenue dans un monde où l'invisible devient palpable, totalement connecté au monde des vivants. Ici, tout fait sens, rien n'est le fruit du hasard. Surtout pas, à l'entrée de la collection, cet amoncellement peu gracieux de bandes de tissus noir, blanc et rouge, de cranes de chevreaux, de cire et d’huile de palme.
Le visiteur du musée vodou se trouve en présence de Kelessi : un fétiche réalisé par un sorcier vodou du Togo, le seul fétiche vivant du musée. Raison pour laquelle il faut le nourrir régulièrement d'alcool et de sang de poulets sacrifiés afin qu'il remplisse son office.
Son rôle est en effet de protéger la collection d’objets vodous rassemblés depuis 1963 par Marc et Marie-Luce Arbogast, composée de 1060 pièces, dont 220 sont présentées dans le cadre de l’exposition permanente « Le vodou, l’art de voir autrement. »
Dans ce musée privé, où l'on croise des fétiches, des crânes de prêtres, des stèles funéraires ou des têtes de canards, la découverte du vodou se fait au rythme d'une véritable ascension : celle d'un ancien château d'eau, construit entre 1878 et 1883 par un architecte berlinois, à l'époque où l'Alsace était devenue partie intégrante du 2e Reich allemand. Ce bâtiment a été l’un des premiers mis en chantier après la guerre franco-prussienne. Il servait alors de réservoir destiné à alimenter les locomotives à vapeur de la gare toute proche.
Jeté comme une pile vide
Au premier étage, s'offre un panthéon de fétiches vodou ; au deuxième étage, on découvre le monde des morts et des secrets ; et le troisième vibre de masques et de costumes remarquables de présence.
Les pièces présentées sont des objets de culte, aujourd’hui désacralisés, qui ont été collectés dans les pays africains où est pratiquée la religion vodou, mais aussi chez des marchands et des collectionneurs européens.
Issus principalement du Bénin, ils constituent la plus grande collection privée au monde en la matière, affirme Adeline Beck, administratrice du musée. « Car malheureusement, une fois qu'il a atteint son objectif, le fétiche est jeté comme l'est une pile devenue vide. »
Sans compter les objets qui disparaissent mystérieusement de nombre de musées africains. Ce qui rend d'autant plus précieux ces témoignages vodou.
Voyage avec les esclaves
La religion vodou a été structurée au XVIe siècle par un roi du Dahomey (actuel sud du Bénin) qui souhaitait la protéger, précise Adeline Beck. Cette tradition orale est toujours pratiquée en Afrique de l’Ouest, principalement au Bénin, au Ghana, au Nigeria et au Togo pour communiquer avec le monde invisible et le faire agir sur le monde visible.
Vodou signifie « monde invisible », et par analogie, il désigne les entités qui habitent ce monde invisible : l’inconnu, l’incompréhensible, l’insaisissable. « Les divinités ont voyagé avec les esclaves en Louisiane, à Cuba, en Haïti », poursuit Adeline Beck. Dans ce dernier pays, le vodou est pratiqué avec des poupées et des aiguilles ; celui du Brésil, est très différent de celui d'Amérique du Nord ou de Cuba.
Ne pas faire fi du Fa
« Cette philosophie de vie est encore très populaire, notamment parce qu'elle est très ouverte, très perméable aux autres religions, intégrant des éléments du christianisme, de l’islam et de l’hindouisme », rappelle la guide dans ce monde des esprits.
Une vidéo décrit une consultation chez le « bokono », le prêtre. « En pays vodou, lorsqu’on a un problème, qu'on est malade, qu’on souhaite se marier ou avoir un enfant, on va consulter un bokono pour une séance de géomancie divinatoire, le Fa, grâce à des colliers de noix jetés. Sans le Fa, il n’y a pas de vodou. L'ordonnance sera soit d'honorer un vodou déjà existant, soit de faire fabriquer un objet spécifique par un féticheur.
On ne construit pas de fétiche sans qu’il y ait une demande, un besoin. Et pour remercier le bokono, on lui apporte de l'argent. Il n'y a pas de tabou là-dessus », relève avec malice Adeline Beck. Et pour qu'un fétiche soit actif, il faut qu'il soit nourri, principalement d'alcool...
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Transfert d’âme
Sortes de statuettes décorées parfois de ficelles, de fils de fer, de cadenas, de petits pieux de bois, de crânes, d'ossements et de reliques, les fétiches exposés ici sont bavards : un Sé, charme-fétiche pour la naissance d'un enfant représentant la partie de l’âme qui passe d’un être à un autre, la déesse de la mer Mami Wata, à laquelle on verse de l'encens, des talismans, la barque Todjivu, destinée au salut des âmes des esclaves qui mouraient en mer afin que celles-ci ne restent pas errantes et que la communication avec elles puisse se poursuivre.
« Au sujet de l'esclavagisme, il faut savoir que les Blancs, en arrivant en Afrique, s'adressaient souvent aux chefs de villages qui vendaient eux-mêmes les hommes », rappelle Adeline Beck.
Tous ces objets ont servi mais sont aujourd'hui désactivés. Si certains laissent parfois perplexes quant à leur intention, d’autres sont plus explicites : un fétiche a été fabriqué et nourri pour séparer un couple, un autre pour qu'une famille reste unie.
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Communier avec les morts
Sous la seule des quatre anciennes cuves conservées, qui contenaient autrefois la réserve d'eau du bâtiment, s'ouvre un monde des morts dont n'est jamais absent un solide bon sens.
Dans une pénombre chaleureuse, les crânes bleutés, certains aux mâchoires liées, livrent leur secret. On est ici au royaume de sociétés secrètes initiées.
Les stèles funéraires, objets sonores déposés devant chez les morts, prennent des airs de fête délicate et joyeuse grâce à la scénographie signée Nanette Jacomijn Snoep, ancienne conservatrice du département Histoire du musée du Quai Branly à Paris.
Alors qu'encore un peu plus haut, l'exubérance des costumes, colorés, richement travaillés et texturés, réveille les sens, on découvre que tout ici est pensé une fois encore pour communier avec les morts. Comment alors s'étonner d’apprendre que le château d'eau de l'époque allemande aurait été construit à l'emplacement d'un ancien...cimetière romain ?
Lucie Michel
Musée Vodou, 4 rue de Koenigshoffen à Strasbourg. Du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h.
Entrée : de 8 à 14 €.
Du 10 décembre 2021 au 2 octobre 2022, exposition temporaire « Pirogues et divinités aquatiques ».
Le musée Vodou fait partie des Sites Touristiques d'Alsace (STA)