Lorsque l’on pense à ces fameux « Cold Case », ces affaires judiciaires classées et non élucidées, notre esprit ne nous emmène pas forcément à Strasbourg et sa quiétude apparente. Pourtant, comme dans de nombreuses bourgades tranquilles à travers le globe, il s’est passé dans la ville de Gutenberg des événements inattendus et tellement romanesques qu’ils sont dignes de romans d’Agatha Christie.
Notre sujet du jour, justement, nous emmène au cœur d’une histoire criminelle qui mêle cigare, Alsace d’après-guerre, attentat, pouvoir d’état et préfecture.
Nous sommes en 1957, bien que la Seconde Guerre mondiale soit terminée depuis douze ans, le conflit reste dans toutes les têtes, et la guerre froide installée depuis 1947 n’est pas là pour apaiser les tensions, bien au contraire. C’est dans ce climat global de suspicions internationales que Strasbourg, ville meurtrie par le conflit, tente de se reconstruire lentement. À cette époque, forcément, les décisions politiques sont au cœur des attentes des Français et la relance, comme la croissance, passent par l’appareil d’état et ses institutions. C'est justement la France, et en particulier le Bas-Rhin, par l’intermédiaire de sa Préfecture, qui va être attaquée au printemps 1957, on vous raconte l’histoire de l’attentat à la boite de cigare.
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Printemps 1957 : Une boîte de cigare explose en pleine préfecture du Bas-Rhin
Le vendredi 17 mai 1957, le préfet André-Marie Trémeaud organise une réception à la préfecture du Bas-Rhin à Strasbourg. Il fête alors sa nomination au titre de chevalier de l’ordre du mérite agricole. De nombreuses personnalités sont présentes pour l’occasion, au premier étage de cette institution. Ce jour-là, Henriette Trémeaud, la femme de monsieur le préfet, supervise les préparatifs d’un déjeuner privé qui doit se dérouler un peu plus tard dans la journée. Et qui dit dîner d’état, dit forcément cigare. Ce jour-là, pensant qu’un petit cubain ferait mieux passer le digestif en fin de repas, madame Trémeaud attrape une boîte de cigare reçue quelques jours plus tôt, elle prend un couteau pour ouvrir le cachet de cire et la boîte explose. La puissante détonation brise les vitres du bâtiment et se fait entendre à plusieurs dizaines de mètres à la ronde, elle est tuée sur le coup.
Le choc, l’émotion nationale et des vieux démons qui réapparaissent
Après le drame, c’est l’émotion, des milliers de Strasbourgeois se rassemblent devant la préfecture puis devant la cathédrale pour assister aux funérailles de madame Trémeaud. Après les interrogations dues à l’intensité de la déflagration, c’est le temps du constat : c’est bien un attentat. À cette époque, quelques années après la guerre, personne ne s’y attend vraiment, surtout au cœur d’une préfecture, symbole de la république. Alors forcément, les vieux démons réapparaissent dans l’imaginaire collectif, et l’on tente alors de trouver le ou les coupables. On sait alors que la boîte de cigares avait été postée quelques jours plus tôt le 13 mai dans un bureau de poste du 12 ème arrondissement de Paris. Après l’enquête, il apparaît que la boîte de cigare en question aurait dû être ouverte le 14 mai, jour où le préfet recevait une pléiade de personnalités de haut rang, mais par chance, ce ne sont pas ces cigares-là qui ont été ouverts, et cela a peut-être changé le cours de l’histoire. Ce n’est donc pas l’épouse du préfet qui était visé. Mais alors qui est le coupable ?
On parle d’un certain Carlos Garcia Soldevillad, représentant général de La Havane pour l’Europe, qui aurait été retrouvé grâce à la secrétaire du préfet qui gardait les coordonnées de tous les expéditeurs. Mais ce genre d’engin explosif ne pouvait pas être confectionné par n’importe qui, celui ou celle qui avait fait ça était très qualifié, la piste est abandonnée. Au fil de l’enquête, les milieux autonomistes Alsaciens sont questionnés, encore une fausse piste. Ensuite, c’est au tour du FLN (Front de Libération National) qui est inquiété, encore raté. La troisième piste concerne des lettres de menaces en allemand et en français envoyées des semaines plus tôt à la préfecture, elles étaient signées du « groupe de combat pour une Allemagne indépendante ». Ces lettres, qui parlent de vengeance Allemande inquiètent, mais la piste est également abandonnée. Dans les jours qui suivent, ce sont les DNA qui évoquent la piste Nazie, évidemment, c’est toute la presse française et internationale qui s’en mêle. On envoie des agents d’infiltration, on étudie à nouveau les restes de la boîte de cigare, et finalement, les enquêteurs estiment que celle-ci a été préparée en Tchécoslovaquie. Mais là aussi, faute de preuve, les enquêteurs passent à autre chose, ils se tournent désormais vers leur dernière piste : le KGB, le fameux service d’espionnage soviétique, mais malgré la pertinence de cette nouvelle piste, l’enquête aboutit à un non-lieu en 1964, 7 ans après le drame. Mais dans ce genre d’événement historique, rien n’est jamais vraiment terminé.
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Un sursaut de vérité 10 ans après le drame
En 1968, un certain Ladislav Bittmann, directeur adjoint des informations des services secrets tchèques (le STB), évoque enfin une piste sérieuse. Il raconte que l’attentat, bien rodé, aurait été appelé l’opération Strasbourg. Il explique que cette attaque à la boîte de cigare avait été commanditée par le KGB lui-même, et ce sont les Tchèques qui avaient été chargés des modalités pratiques. L’objectif pour l’URSS était, selon les DNA « d’envenimer les rapports franco-allemands et de torpiller l’amitié naissante entre les deux pays, symbolisée par le Traité de Rome qui marque le début du marché commun » et donc de l'Union européenne. Déjà, à l’époque, l’idée d’une coalition de pays unis qui s’étendrait jusqu’aux portes de l’URSS faisait peur à ses dirigeants. Certains pourront y voir des similitudes avec ce qui se passe aujourd’hui entre l’Ukraine, l’Otan, et la Russie de Vladimir Poutine.
Auteur : Bastien Pietronav