Alors que les nouvelles mesures gouvernementales vis-à-vis de la crise sanitaire en cours laissent entrevoir un retour à la vie normale, le tourisme fluvial a plus que jamais une carte à jouer. Résolument écologique et atypique dans l’idée de visiter une région autrement, le secteur compte de nombreux atouts. Entretien avec Frédéric Avierinos, le vice-président d’Entreprises Fluviales de France (E2F).
Quand on parle de tourisme fluvial, on pense à quoi ?
Il faut bien voir que c’est un secteur très diversifié qui a doublé en 10 ans. Tout d’abord, il faut rappeler que la France bénéficie du plus important réseau de voies navigables en Europe. Sur ces voies navigables, et ce depuis quelques années, le tourisme a dépassé les marchandises. L’activité nationale est principalement générée par le secteur des bateaux promenade (73%) avec ou sans restauration, en particulier à Paris qui est le premier port de tourisme fluvial au monde en temps normal. Paris, c’est 8 millions de passagers fluviaux par an sur 11 millions au niveau national. Néanmoins, les bateaux promenades se développent de plus en plus dans d’autres villes fluviales de France telles que Strasbourg avec Batorama, mais aussi Lyon, Toulouse, Bordeaux. Puis vous avez les péniches hôtels (21%), un secteur peu connu. Pourtant, la France est leader mondial sur ce marché qui se diversifie de plus en plus sur les petits canaux. C’est idéal pour les petits gabarits avec 10 à 12 personnes à bord, en Bourgogne, en Franche-Comté, sur le canal du Midi, d’écluse en écluse. Et puis vous avez les paquebots de croisière (6%) dédiés à l’événementiel et l’hébergement sur la Seine, le Rhône, la Garonne, la Loire ou encore le Rhin.
Comment se porte le secteur depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020 ?
Alors que nous étions en pleine expansion, nous sommes quasiment à l’arrêt. Il y a eu les gilets jaunes, les crues puis cette crise du covid-19 qui a paralysé le secteur. A l’exception de l’été dernier pendant lequel les petits gabarits sur les canaux de Bourgogne au Midi ont attiré une clientèle locale. Les grandes compagnies, comme à Paris, ont bricolé en l’absence de touristes étrangers et des contraintes de jauges. Depuis octobre, on est totalement arrêté, soit pour des raisons administratives, soit pour des raisons commerciales. Nous sommes sous la tutelle du Ministère des Transports, mais notre rattachement à la filière tourisme nous a permis d’obtenir tous les soutiens dont a pu bénéficier le secteur du tourisme. Il y a aura de la casse, tout le monde ne repartira pas comme avant et des restructurations sont à prévoir. Mais on commence à avoir des perspectives pour juin, même si l’été 2021 sera probablement assez mou.
Quelles perspectives ?
La fin des déplacements limités à 10km va nous permettre de capter de la clientèle sur l’ensemble du territoire. Des touristes étrangers, on n’en verra pas beaucoup. Mais on va au moins pouvoir repartir, remettre les gens au travail, regénérer une clientèle locale à défaut d’être internationale. Et passer dans un mode encore plus éco sensible qu’auparavant.
En effet, à l’heure de la transition écologique, les atouts du fluvial s’inscrivent parfaitement dans les aspirations du tourisme vert. Le secteur peut-il devenir un acteur clé du monde de demain ?
Oui, on voit de plus en plus que le tourisme fluvial correspond bien au monde d’aujourd’hui, avec son éco-responsabilité, son authenticité et cette manière assez agréable et douce de visiter les territoires, à contre-courant du tourisme de masse. Il s’agit d’un instrument puissant de développement local et d’attractivité. Et cela les institutions et les grandes métropoles commencent à le comprendre. Je fais partie de ceux qui disent que c’est l’occasion de relancer l’activité, avec des emplois induits et non délocalisables, et une valorisation des territoires. Cela fait des années que la plus belle croisière du monde est le tour de Paris sur la Seine, activité qui trouve ses origines dans la mise en place des bateaux-mouches pour l'Exposition Universelle de 1867. Bien sûr que l’on sent que le tourisme fluvial a un gros potentiel pour le monde de demain où les gens voudront davantage de proximité, d’éco sensibilité. On n’a pas attendu la crise sanitaire pour s’y intéresser.
C’est-à-dire ? En quoi la filière est innovante sur le plan technologique et des services ?
Nous sommes dans des phases de transition écologique. Nous étions dans des modes de propulsion traditionnel diesel qui sont déjà assez éco sensibles par rapport à un autocar sur la route. On a déjà investi dans la récupération d’énergie contenue dans les gaz d’échappement. On va vers des bateaux électriques, hybrides, et demain hydrogènes. Ce n’est pas si simple car il s’agit de gros investissements. C’est un processus qui va prendre de l’ampleur dans les cinq prochaines années. Il y a beaucoup d’études en cours avec les pouvoirs publics et des partenariats qui vont naître. La transition écologique va rendre le fluvial encore plus éco sensible. Il y a notamment de beaux projets à venir en Camargue, dans la baie de la Somme, sur la Marne, l’Oise et dans le Grand Est. De plus en plus de gens se rendent compte qu’il y a des activités formidables à faire sur nos voies navigables. Mais aujourd’hui, l’urgence, c’est la survie et le redémarrage du secteur. Honnêtement, on a une très belle carte à jouer dans la relance de l’activité touristique en France suite à la crise sanitaire, en valorisant nos atouts. Si tout le monde joue le jeu intelligemment, le secteur du tourisme fluvial est promis à un très bel avenir.
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Recueilli par Florian Dacheux
A propos de l'auteur
Trentenaire basé en banlieue parisienne, Florian navigue dans le monde des médias depuis 2005. Des bases du métier appris en presse quotidienne régionale à Avignon, il a connu une expérience de correspondant à Barcelone, le reportage en radio depuis Marseille, ou encore l’édition numérique dans diverses rédactions parisiennes. Freelance depuis 2015 en tant que reporter et rédacteur pour la presse magazine et digitale, il réalise différents types de sujets de société. Florian anime également des ateliers d’écriture et pratique la photographie.