L'industrie Magnifique : Bénédicte Bach sur un nuage

Pendant 10 jours, artistes, entreprises mécènes et collectivités se sont associés pour exposer l'art dans la ville. Rencontre avec l'une de ces installations et sa créatrice, plasticienne... et poétesse.

Quand j'arrive rue des Hallebardes, un groupe d'une douzaine de personnes se presse autour de Bénédicte Bach. De temps en temps, l'un ou l'autre jette un regard en arrière, vers le ciel. Ce n'est pas la flèche de la cathédrale qui les attire, mais un étrange alignement d'icosaèdres, des objets à 20 faces réalisés dans un cuir d'un blanc neigeux. Suspendus entre les maisons alsaciennes, ils symbolisent des nuages en apesanteur dans l'écrin du Carré d'Or de Strasbourg. En référence à l'univers du luxe visé par le mécène ayant commandé l'œuvre, les Tanneries Haas de Mittelbergheim, c’est une autre dimension du cuir qui est donnée à voir ; de l’élément organique à la somptuosité, de la matière à la création. « Portée aux nues est une respiration poétique, une invitation à l’imaginaire. En redessinant l’espace avec une nuée légère, délicate et élégante, il s’agit d’offrir une atmosphère propice à l’échappée belle. La possibilité de s’accorder un moment la tête dans les nuages. Un moment de rêve dans lequel luxe rime avec volupté », explique l'artiste plasticienne.

Elle-même semble chevaucher cette nuée blanche. Après 18 mois de conception, d'échanges, de fabrication, de confinements et de déconfinements, et 9 jours d'exposition, Bénédicte avoue avoir un peu perdu la notion du temps. Cette dijonnaise d'origine s'est installée en Alsace en 2017. En plus d'animer la galerie La Pierre Large, à Strasbourg, la plasticienne aime raconter des histoires, en rentrant au cœur de la matière pour tisser des liens entre les univers. Tantôt photographique, tantôt littéraire, tantôt sous forme d’installation ou de performance, son écriture polymorphe s’affranchit des frontières artistiques habituelles. Avec pour fil rouge la mise en lumière de la poésie du monde ; une poésie figée dans le temps. 

L'industrie comme terrain de jeu

Bénédicte a découvert le cuir en 2018, quand elle a travaillé pour la première fois avec les Tanneries Haas dans le cadre de la première édition de L'Industrie Magnifique. « Depuis, je l'ai dans la peau ! Ce qui me plaît, c'est que c'est un matériau de recyclage. La peau de veau est considérée comme un déchet dans les abattoirs, mais grâce au travail des tanneries, elle devient un élément important de l'industrie du luxe. Il y a quelque chose de magique là-dedans », conte-t-elle. 

L'atelier nuage de Bénédicte Bach
"L'atelier des nuages"

L'Industrie Magnifique donne la possibilité aux artistes d'embarquer les salariés de l'entreprise mécène dans un projet artistique. Après la première expérience de 2018, où Bénédicte avait exposé un nuage de papillons de cuir dans le quartier des Tanneries, l'artiste souhaitait aller encore davantage à la rencontre des salariés. Ainsi, à l'automne 2019, après être passée d'atelier en atelier au sein de la tannerie, pour observer le travail de préparation des peaux, elle a pu disposer de son propre espace, un local de 1 000 m2 « suffisant pour y mettre le ciel dedans ». Une quinzaine de petites mains ont travaillé dans cet « atelier des nuages », inspirant autant de métaphores à l'artiste, impressionnée par le savoir-faire et le savoir bien faire des salariés. 

Bien sûr, il y a eu l'épidémie de covid et la longue coupure du confinement. La plasticienne n'a pu accéder à son atelier avant le mois d'octobre. Alors, pour passer le temps et rompre le sort, elle a dessiné... des cumulus. Il lui a aussi fallu adapter sa façon de travailler avec les salariés de la tannerie. Des conditions particulières qui ont obligé l'artiste à se réinventer. « Le croisement, le mélange avec les salariés a fait bouger les lignes », estime-t-elle. Pour la direction de l'entreprise, qui va devoir gérer à l'avenir la fusion des Tanneries Haas et de la manufacture Degermann de Barr et la construction d'une nouvelle usine présentée comme « la tannerie du futur », la collaboration avec Bénédicte Bach a permis de décloisonner les salariés. L'art se révèle être un formidable outil d'accompagnement au changement, qui permet aux salariés impliqués dans l'aventure de prendre davantage confiance en eux.

 

« J'aime bien semer de la poésie et laisser la liberté au gens de s'en saisir » 

Les nuages de cuir de Bénédicte Bach pour l'Industrie Magnifique 2021

Les salariés des Tanneries étaient ainsi les premiers à venir voir ces nuages suspendus à deux pas de la cathédrale, comme pour mieux s'approprier une œuvre à laquelle ils avaient contribué. Exposer en pleine rue, dans un endroit de passage et de haute valeur patrimoniale comme peut l'être la rue des Hallebardes, est en effet l'occasion de rencontrer un public très varié. Et en ces heures exquises de déconfinement, si les touristes étrangers n'envahissent pas encore le quartier, les habitants de la région se prêtent avec joie au bonheur de la découverte. Depuis les débuts de L'Industrie Magnifique, les parcours proposés par les guides de l'Office de tourisme font le plein. Les visiteurs individuels sont quant à eux orientés par des gilets roses, des bénévoles se transformant pour 2 heures ou 2 jours en médiateurs passionnés de L'Industrie Magnifique. Tout un petit monde qu'il a fallu sensibiliser à l'œuvre.  « La sociologie du quartier est différente de la Petite France, où j'avais exposé lors de la première édition de LIM. Ici, je me sens plus proche des strasbourgeois », reconnaît Bénédicte. L'artiste a également accueilli des groupes scolaires, notamment les élèves de l'école de Marlenheim avec qui elle effectue, tout au long de l'année, un travail de médiation. 

« L'industrie est un secteur que j'adore. Ce sont des femmes et des hommes, des histoires, de l'innovation, des matières où la poésie a sa place. C'est dans l'industrie que j'ai fait mes débuts en photographie ; j'y ai trouvé mon terrain de jeu. Quand on travaille comme cela dans une entreprise, on se retrouve électron libre dans une organisation bien carrée. Il nous faut intégrer le fonctionnement de l'entreprise, ses contraintes, sa structure. Cela oblige à repenser au quotidien la façon dont on pense les choses et à être plus attentifs aux autres. C'est important pour un artiste parce que cela permet d'éviter le nombrilisme ».

[Lire aussi >> L'Industrie Magnifique : quand ville, art et industrie se rencontrent]

Bénédicte Bach nous parle de son oeuvre Portée aux nues

  

Auteure : Nathalie Stey 

 

A propos de l'auteure

Journaliste indépendante amoureuse de l'Alsace, Nathalie Stey a animé pendant 20 ans une revue professionnelle consacrée au transport fluvial et basée à Strasbourg. Elle a depuis élargi son spectre et assure aujourd'hui la correspondance en région pour le journal Le Monde et Le Mensuel éco Grand Est, tout en restant fidèle au secteur de la voie d'eau qu'elle s'attache à faire découvrir. 


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