Qui n’a jamais encore éprouvé le cauchemar de la propagande doit voir l’exposition « Face au nazisme, le cas alsacien », visible à la Bibliothèque universitaire de Strasbourg jusqu’au 15 janvier.
Elle est peut-être l’une des moins agressives, avec ses couleurs peu violentes et son trait de BD des années 1940, mais le message est tout aussi inquiétant que sur les autres affiches… qui ne sont pas de simples affiches. Ce sont des outils de propagande nazie qui donnent la nausée au visiteur de l’exposition « Face au nazisme la cas alsacien », présentée à la BNU.
Sur cette affiche donc, un homme géant domine une tablée débonnaire, retrousse les manches de sa chemise blanche au brassard à croix gammée, poings serrés comme pour cogner, et fixe de son regard menaçant un groupe de petits personnage attablés. Reconnaissables à leur béret, ces bons Français débonnaires profitent de leur repas. Mais ils ne sont pas qui : membres de syndicats, « ploutocrates » à gros cigare ou « mauvais garçons » à chapeau mou. Le message est « Schlüss jetzt ! Arbeiten ! Nicht schwätzen ! : « ça suffit, au travail, finis les bavardages ! ».
Quel pays pour l’Alsace ?
Ce type de propagande nazie était placardé dans toutes les entreprises alsaciennes. Il s’agissait pour l’appareil nazi de mettre ces nouveaux « Allemands malgré eux » au travail, après l’annexion de fait de l’Alsace-Moselle en 1940 au Reich allemand, alors régime autoritaire.
Au moment où la guerre, le nationalisme extrême et la désinformation se
trouvent à nouveau aujourd’hui au centre de l’actualité internationale, l’exposition « Face au nazisme : le cas alsacien » souhaite montrer comment l’Alsace, qui était en première ligne face à l’Allemagne nationale-socialiste, a été utilisée, de part et d’autre du Rhin, dans les débats qui portaient sur sa place au sein de la France ou dans le « grand Reich » voulu par les nazis.
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Rares documents
L’exposition présentée actuellement à la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg est composée de documents très rarement montrés, issus des collections de la BNU et d’autres institutions publiques, tels des affiches, des films, des ouvrages, des manuscrits et des journaux datant de 1940 à 1944. Le parcours se déroule en trois parties visant à contextualiser cette période longtemps passée sous silence qu’a été l’annexion.
La première partie traite des années 1920-1930 : la frontière contestée, la question de savoir si l’Alsace est d’essence allemande (question), la société alsacienne s’interrogeant, l’annexion de fait en 1940.
Répression et collaboration
La deuxième partie traite de la période de la guerre et de la « nouvelle » Alsace dans une nouvelle Europe, évoquant la place des femmes, l’incorporation de force, la répression contre les personnes exclues, la collaboration, la culture au service de l’idéologie, le rôle de la Reichsuniversität qu’était devenue l’université de Strasbourg, et la résistance au nazisme.
Enfin, la dernière partie traite de l’après-guerre, des nouveaux terrains de recherche et des initiatives mémorielles actuelles.
Le pouvoir du cinéma
Tout aussi effrayants que les affiches sont les films de propagande diffusés dans les cinémas allemands pendant la guerre. Plusieurs sont présentés dans le cadre de l’exposition.
« L’Alsace allemande » est un court métrage montrant l’Alsace d’alors, idyllique car devenue allemande, dont le discours souligne les sacrifices et les combats pour aboutir à ce résultat. « Les jeunes filles quittent la ville » fait la promotion du travail au service du Reich. Le film met en scène une jeune fille quittant Hambourg pour l’Alsace. Pour découvrir les nouveaux territoires.
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La conquête de l’Ouest
S’étendre au-delà des frontières d’avant-guerre de l’Allemagne était un objectif majeur pour le régime. Le Lebensraum (espace vital) des nazis devait s’élargir bien au-delà des seules Alsace-Moselle, découvre-t-on au détour d’une vitrine de l’exposition.
Un extraordinaire tapuscrit d’un mémorandum secret adressé à Hitler en 1940 montre les intentions de l’Allemagne en perspective de négociations d’un traité de paix entre l’Allemagne et la France.
Il envisage une nette expansion du Reich vers l’Ouest sur près de 60000 km². Cette annexion comprenait non seulement l’Alsace et la Moselle mais également toute la Lorraine, le Territoire de Belfort, la Haute-Saône, la quasi-totalité du département du Nord, les trois-quarts du Pas de Calais, la Haute-Marne. Soit sept millions de Français en tout.
Résistance contre propagande
Une toujours agressive affiche informe de la tenue par les Jeunesses hitlériennes de leur compétition sportive à Strasbourg en juillet 1942, avec un soldat à fusil en arrière-plan. Elle ne laisse aucun doute sur les conditions de vie en Alsace aryanisée et germanisée. Cela n’a toutefois pas empêché la résistance de s’organiser. On peut découvrir un fascicule rédigé en français et publié par le service de la résistance française en 1944 : il constitue une réponse à la propagande nazie.
Un cube de béton bavard
Un saut de 70 mène à un Stolperstein, petit cube de béton recouvert d’une plaque de laiton. Initiative de l’artiste allemand Gunter Demnig, ce pavé mémoriel, encastré dans les trottoirs de nombreuses villes d’Allemagne et d’Europe, raconte en quelques mots le destin de l’une des innombrables victimes du nazisme, des communistes aux Juifs.
En quittant les lieux, le visiteur peut s’interroger : pourquoi voir une exposition parfois si brutale ? Parce qu’elle fait indéniablement du bien à la conscience collective.
Auteure : Lucie Michel
A voir : Exposition « Face au nazisme : le cas alsacien », jusqu’au 15 janvier, tous les jours de 10 h à 19 h (dimanche de 14 h à 19 h) à la BNU de Strasbourg. Entrée libre. Visite commentée (3 € par adulte).
A écouter : Le 6 décembre, lecture de Les nuits de Fastov, d’André Weckmann, à 19 h, durée 1 h 15, gratuit. Le 9 décembre, conférence d’Ophélie Jouan : « Récupérer le patrimoine français après les pillages nazis (1944-1949), à 18 h 30. Gratuit. Le 11 janvier 2023, conférence de Geoffrey Koenig : « L’Alsace à tout prix, nouvelle histoire de la Wehrmacht durant la campagne d’Alsace, nov 44-mars 45 », à 18 h 30. Gratuit.