L'exposition Têtes à têtes, au musée Unterlinden à Colmar, est une occasion rarissime d'apprécier une série de portraits de Lucas Cranach le Jeune en une originale confrontation de personnalités emblématiques de la Renaissance en Saxe et de l'époque actuelle en Alsace. Ce grâce au travail de jeunes photographes.
Par delà les siècles, tous offrent leur visage et leur regard aux visiteurs du musée Unterlinden : impénétrables, fiers ou doux pour certains, auxquels répondent d'autres plus facétieux, pénétrés ou offerts à la lumière. Non seulement, l'exposition Têtes à têtes rassemble 13 dessins de Lucas Cranach le Jeune (1515-1586), l'un des maîtres de la Renaissance allemande, grâce à un prêt exceptionnel du musée des Beaux-Arts de Reims. Cette série sort en effet de la collection du musée pour la première fois depuis 80 ans. Mais en plus, ces portraits de l’aristocratie de Saxe sont mis en parallèle par delà cinq siècles avec des portraits d'une autre aristocratie : celle de personnalités du milieu culturel contemporain alsacien, photographiés par des élèves de 3e du collège Molière de Colmar.
«Dessinés d’après nature, à la charnière entre dessin et peinture, les portraits de Cranach le Jeune constituent des témoignages quasi photographiques de personnalités de l’Allemagne protestante du milieu du XVIe siècle », estime Magali Haas. La commissaire de l'exposition a initié en collaboration avec Xavier Gaschy, professeur d'art plastique au collège Molière et enseignant relais auprès du musée Unterlinden, cette exposition originale conçue autour du portrait. Que ce soit un projet innovant était de fait la condition posée par le musée pour le prêt de ces œuvres à l'occasion de sa fermeture pour travaux.
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Portraits à la loupe
Présentés jusqu'en février dans l'Ackerhof du musée, les dessins de Lucas Cranach le Jeune ont été réalisés à Wittenberg, entre 1540 et 1550, alors que l'artiste était le peintre attitré de la cour de Saxe, comme son père Lucas Cranach l'Ancien avant lui. Ces 13 portraits représentent des hommes, des femmes et des enfants liés aux familles de cette aristocratie favorable à la Réforme toute jeune encore, Luther ayant affiché ses 95 thèses dans la ville en 1517. Chaque portrait était un moyen d’affirmer la notoriété de sa famille. Produit à l’occasion d’un mariage, d'une naissance ou d'une alliance politique, le dessin servait de base à une peinture, une sculpture, une tapisserie ou une médaille.
Près de 500 ans plus tard, ces dessins ont inspiré un travail artistique dont les similarités sont évidentes : l'immortalisation d'acteurs contemporains grâce à la photo. Pendant six mois, de juin à octobre 2020 – ajournée pour raison sanitaire, l'exposition devait initialement se tenir un an plus tôt – des collégiens de la classe dite « colorée photographie numérique », qui suivent un enseignement d'une heure hebdomadaire en photo, ont étudié le portrait. « Ils ont fait l'analyse de ceux de Cranach le Jeune avec la photographe Vanessa Moselle, leur professeur de français et moi-même. Ils se sont ensuite testés les uns les autres avec un appareil photo pour créer une relation avec le modèle », détaille Xavier Gaschy.
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Avec gants de boxe et couteau
De nombreuses questions ont précédé le prise de vues : « Allions-nous faire 13 portraits pour répondre aux 13 dessins ? Allions-nous reproduire le même cadrage, les mêmes postures que celles de Cranach ? Et qui allions-nous photographier? » La réflexion a abouti à ce constat : « Les sujets de Cranach sont issus d'une même famille, les princes de Saxe. Aussi allons-nous créer notre propre famille régionale, celle que nous voulons faire entrer au musée, composée d'artistes et de personnalités ayant un lien fort avec le musée ou acteurs de la culture en Alsace », poursuit l'enseignant.
Les plasticiens Michel Cornu, Rose-Marie Crespin, Daniel Depoutot et Dan Steffan, le chef cuisinier réputé Marc Haeberlin, la photographe Vanessa Moselle, le caricaturiste Phil Umbdenstock, l'humoriste strasbourgeois Capitaine Sprütz et l'architecte Pascale Richter : tous ont spontanément répondu oui à cette invitation. Et se sont prêtés au jeu en choisissant l'espace du musée dans lequel ils souhaitaient être représentés, ainsi qu'un objet emblématique de leur propre histoire : couteau, casque, gants de boxe, crayon, petit chien, lumière, sable...Les photos, que les modèles découvraient le jour de l'inauguration, ont été tirées en noir et blanc sur d'impressionnantes bâches tendues, présentées en suspension dans l'ancienne piscine devenue espace muséal. Autant de portraits avec lesquels les visiteurs se retrouvent en tête à tête, explosion de vie tout en contraste avec les portraits calmes aux teintes douces de Cranach le Jeune.
Version Instagram
« Les deux ensembles, dessins et photographies, dialoguent dans les espaces d’exposition en se confrontant aux mêmes thèmes : l’artiste et son modèle, le rôle du portrait officiel, les secrets de fabrication et l’histoire de chaque portrait... Le dessin et la photographie ont en commun leur
rapidité d’exécution, la possibilité d’être retouchés et leur facilité à être diffusés », résume Magali Haas.
Pour parfaire la découverte de l’art du portrait, les visiteurs peuvent suivre un parcours ludique accessible via un QR code et s’essayer au portrait selon Lucas Cranach le Jeune, même s'ils ne savent pas dessiner, assure Xavier Gaschy, grâce à des gommettes et des profils tout faits. Et des filtres Instagram ont été créés pour permettre d’entrer dans les dessins de Cranach le Jeune. Des dessins sous haute surveillance, précise Xavier Gaschy: afin d'assurer leur conservation au niveau optimal, on ne peut en effet les exposer plus de trois mois tous les trois ans. «Et quand le musée de Reims rouvrira, ils intégreront la collection permanente, donc ne sortirons sans doute plus. » Rarissime rencontre, donc.
Lucie Michel
Exposition Têtes à Têtes, au musée Unterlinden à Colmar, jusqu'au 7 février 2022.
Ouvert tous les jours sauf mardi de 9 h à 18 h. (jusqu'à 16 h les 24 et 31 décembre). Fermé le 1er janvier.
De 5 à 15 €. Du vendredi au dimanche, exposition gratuite pour les moins de 18 ans.
Le Musée Unterlinden fait partie des Sites Touristiques d'Alsace (STA)