Rencontre avec Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques de Paris, en charge du chantier de la restauration de Notre-Dame de Paris, en partie détruite par l’incendie du 15 avril 2019.
Architecte en chef des Monuments historiques de Paris, en charge depuis 2013 de la cathédrale Notre-Dame, Philippe Villeneuve est maître d’œuvre du chantier de sa restauration depuis l’incendie de 2019. Parmi les parties endommagées, figure la charpente médiévale en chêne, posée vers 1220, aux dimensions impressionnantes : 100 mètres sur 13 dans la nef, sur 10 mètres de hauteur. Chaque poutre provenait d’un arbre différent. La flèche, qui culminait à 93 mètres de haut, a également disparu dans les flammes, sa lourde couverture de plomb avec. Elle avait été mise en place en 1859 par l’architecte Viollet-le-Duc, qui a signé une lourde et personnelle restauration de la cathédrale… L’un des apôtres disposés autour de la flèche avait même ses traits !
Fin septembre, l’architecte en chef des Monuments historiques était de passage à Strasbourg à l’occasion d’un colloque qui a réuni près de 120 professionnels de la préservation et de la sauvegarde des cathédrales en Europe. Rencontre avec celui qui est le mieux placé pour partager des informations sur l’état d’avancement du chantier.
[LIRE AUSSI >> Strasbourg : cette flèche de la cathédrale jamais réalisée]
Aller à l’encontre des idées reçues, que matériaux et savoir-faire pour restaurer la cathédrale n’existaient plus, a été l’une des grosses difficultés du chantier, dites-vous…
Si on avait écouté les gens, on ne savait plus refaire les vitraux, ni la couverture en plomb, ni la charpente en chêne. Et on entendait qu’il n’y avait pas assez de bois… Nous avons dû lutter contre ces préjugés et nous avons réussi à convaincre tout le monde que c’était faisable, ce grâce au compagnonnage. Les nombreux chantiers en cours sur des monuments historiques entretiennent les savoir-faire. Pour les matériaux, nous avons eu suffisamment de bois et de pierre. Et les entreprises ont formé des compagnons pour embaucher assez de monde sur le chantier.
A quelles autres difficultés avez-vous dû faire face ?
L’organisation technique et administrative en est une… Sur ce chantier où travaillent 500 personnes, dont près de 400 artisans tout métier confondu, il faut soigneusement planifier le nombre de lots et d’entreprises qui interviennent, définir les priorités. Ici, la première était la préservation du bâti : arrêter les infiltrations, éviter un effondrement, protéger la voûte.
Vous avez proposé au président de la République de reconstruire à l’identique. Pour quelle raison soulignez-vous que c’était une évidence ?
Mon rôle d’architecte en chef des Monuments historiques est de reconstruire à l’identique : je n’ai pas vocation à faire du contemporain. Il a fallu convaincre les politiques, les archéologues et les administrations. Cela a pris près de deux ans. C’était évident car nous avions tout pour la refaire ainsi : des relevés, des photos, 16 statues en cuivre préservées car retirées cinq jours avant l’incendie pour restauration, le coq tombé de la flèche et retrouvé parmi les décombres. C’était facile.
Quel modèle de flèche refaire : la question s’est-elle posée ?
C’était une question légitime : refaire la flèche de Viollet-le-Duc, ne pas en refaire du tout ou refaire l’originale qui était en bois ? Car il y avait déjà une flèche du XIIIe au XVIIIe siècles : elle n’avait qu’un étage. D’ailleurs, en 1841, dans le cadre d’un concours d’architectes, Viollet-le-Duc avait proposé de reconstruire cette flèche originelle. Mais cette flèche du XIIIe s. n’était pas suffisamment documentée, alors que celle de Viollet-le-Duc, architecte majeur de Notre-Dame de Paris, l’était abondamment. Et il ne faut pas oublier l’aspect réglementaire : « Paris, Rives de Seine » est classé au Patrimoine de l’Unesco, notamment ses couvertures en plomb. C’était clair : nous étions donc quasiment obligés de refaire à l’identique.
[LIRE AUSSI >> Coup de bluff à l’Œuvre Notre-Dame]
Pas de mauvaises surprises sur ce chantier, selon vous, mais une bonne. Laquelle ?
Lors des travaux, nous avons eu la bonne surprise de découvrir les vestiges des sculptures du jubé du XIIIe siècle, enfouis dans le sol, à la croisée du transept. Ils sont aujourd’hui dans des caisses et j’aimerais beaucoup que l’on ouvre un musée de l’œuvre Notre-Dame pour exposer ce qui a été fait et découvert. Ce projet pourrait voir le jour…
Où en est le chantier en cet automne 2023 ?
Tous les intérieurs sont quasiment refaits : restent les tranchées techniques. Les pignons nord et sud sont terminés. Nous remontons la charpente de la flèche, ce qui sera terminée mi-novembre. Puis la couverture en plomb sera lancée. La partie supérieure de la flèche et la couverture de la nef seront finies en juillet 2024.
Pourquoi est-il si important que le chantier soit dans les temps ?
La tenue des délais est une obsession : je m’y suis engagé auprès du Président. Mais nous sommes très vigilants : nous ne bâclons pas pour autant. D’un point de vue qualitatif, c’est un très bon chantier. Tout le monde loue la qualité du travail mené.
Pour une compréhension globale des charpentes de la cathédrale, des relevés avaient été faits peu de temps avant l’incendie : une chance…
Oui. Ils ont été faits en 2014-2015 par l’architecte en chef des Monuments historiques Rémi Fromont et par Cédric Trentesaux, architecte du Patrimoine. Les relevés étaient accompagnés de photos. Après l’incendie, j’ai demandé à deux collègues, dont l’architecte en chef des Monuments historiques, de m’épauler pour ce chantier de restauration : Rémi Fromont et Pascal Prunet.
La cathédrale de Strasbourg possède-t-elle de tels relevés ?
Je ne sais pas s’il existe des relevés aussi précis des charpentes. Mais celle de la nef de la cathédrale de Strasbourg a déjà brûlé en 1870, après de nombreuses autres fois, donc elle n’est plus médiévale du tout.
Crédit photos : Philippe Villeneuve
Auteure : Lucie Michel