Reliées à des sismographes, les œuvres plastiques présentées au Ceaac, à Strasbourg, produisent des vibrations et des sons dérangeants, fantastiques. Zoom sur « Colère divine » l’exposition à ne pas manquer cette rentrée.
Vibrations à tout faire
Le Centre européen d’actions artistiques contemporaines (Ceaac) résonne de vibrations terriblement présentes. L’ancien magasin de vente de verrerie et de porcelaines Neunreiter à la Krutenau à la délicate décoration Art nouveau, accueille l’exposition « Colère divine », dans le cadre du festival de musique contemporaine Musica qui se déroule en septembre à Strasbourg.
Le propos : des œuvres secouées de vibrations au point d’émettre des sons, une représentation plastique pour rendre la vibration observable, des créations inattendues et exigeantes qui unissent sons et matière. Ici, il faut se mettre en condition pour comprendre, ressentir, se laisser déranger par les sons émis, baisser sa garde et rester subjugué.
The wall
Le visiteur qui entre au Ceaac est face à un mur de briques en polystyrène, comme à moitié éboulé déjà ou pas encore fini. Mais ce mur n’est pas un mur. C’est réellement une performance : le mur semble immobile, mais il est condamné à la ruine.
Baptisé Meanwhile, cette œuvre est signée Gaëtan Rusquet et Yann Leguay. Leurs 2000 briques superposées sont reliées à une trentaine de sismographes du monde entier, connectés au réseau Géoscope. Ceux-ci transmettent leurs informations en temps réel aux briques, ainsi délicatement secouées par les vibrations transmises par la puissance des mouvements du sol. Ainsi, au fil de l’exposition, l’œuvre va s’autodétruire, manifestation tangible de l’écoulement du temps.
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Isolés du monde
Étrange expérience sensorielle que celle de traverser des rayonnages d’archives inexistantes et de s’arrêter en chemin. Les hautes armoires sur vérins ont été vidées de leurs rayonnages, comblés par des bass-traps, ces absorbeurs d’énergie acoustique en mousse noire. Habituellement installés dans les studios d’enregistrement, ils prennent ici un aspect presque offensif, dressés qu’ils sont contre la propagation des idées jugées subversives par l’ordre établi.
Choisir de s’y poster, au milieu, est un véritable voyage dans un monde assourdi où l’on éprouve une solitude presque inquiétante. Signée comma (des artistes Clémence Choquet et Mickaël Gamio), l’œuvre Hérésie 102 évoque de manière symbolique les différentes formes de censure de par le monde. Plus encore, elle invite à poursuivre l’inventaire des empêchements à exprimer des doutes et des opinions alternatives.
Verres bavards
La majeure partie du rez-de-chaussée du Ceaac est occupée par une fantastique installation sonore. Paysage de propagations #1-Matrice est une série de pièces uniques en verre. Il faut l’actionner pour qu’elle produise des sons, telle une batterie de percussions complète ayant sa propre vie. Ces étranges formes en verre, soufflées par des maîtres verriers du Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques de Marseille, jouent le rôle d’instrument ou d’enceinte. Chacune a sa singularité acoustique. La magie opère quand chacune est activée par un dispositif électromécanique, qu’elle produit alors des sons, enregistrés puis retransmis à d’autres objets en verre...Toutes ces vibrations entrent en résonance et c’est alors tout un espace qui vibre.
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Le séisme par les azulejos
Le premier étage du lieu offre une belle vue sur un bout de mur en azulejos, ces carreaux de faïence émaillés du XIXe siècle très colorés produits par des artisans de Lisbonne. Ces faïences aux motifs géométriques composent habituellement des murs bien réguliers, mais que se passe-t-il en cas de séisme, quand la ville est secouée, comme ce fut le cas pour la capitale portugaise en 1755 ? On le voit ici : certains carreaux sont déplacés dans ce bel ordonnancement et c’est une nouvelle écriture qui s’inscrit, comme une partition musicale : toujours ordonnée, certes, mais décalée. Comme le dessin de la propagation des ondes sismiques sur un diagramme géologique.
Fraiseuse en folie
Encore un étage plus haut, et c’est le chaos qui règne. Ou plutôt : une impression de chaos, du genre fraiseuse de dentiste en folie. Car ici, ce ne sont que deux simples micros qui semblent susurrer en toute intimité.
Pour le visiteur, l’installation Volta de Yann Leguay (deux micros, un transfo et un lecteur audio) est un cauchemar strident qui vrille les oreilles et perturberait presque le fonctionnement cardiaque. L’artiste étudie ici le potentiel du comportement électrique en tant que source d’émissions sonores. C’est réussi ! Grâce à un puissant haut-parleur à plasma, l’œuvre crée un arc électrique de haut voltage qui produit un son propre entre les deux micros.
Bruits de bottes
« « « » » » est une installation vidéo à vivre sur une plaque de métal en suspension, au premier étage du Ceaac, signée comma. Pourquoi se répètent à l’envi des marches militaires scandées, de tous pays, de tous régimes, dont on ne voit que les jambes et les bottes que l’on imagine entendre claquer au sol ?
Les artistes expliquent qu’après le séisme de 1755, la reconstruction de Lisbonne, selon les premières normes parasismiques en Europe, fut confiée à des ingénieurs militaires. Afin de mettre à l’épreuve la résistance des architectures et des matériaux, des marches de troupes furent organisées pour simuler un séisme sur les constructions. Des années plus tard, plusieurs ponts se sont effondrés sous le passage de bataillons, leur pas cadencé entrant en résonance mécanique avec leurs structures. Les deux artistes rejouent ici ce dispositif des plateformes d’essais sismiques. Spectateur sur sa plaque de métal, le visiteur ressent dans ses propres pieds et ses propres jambes les vibrations produites par ces marches militaires. On en vibre ou on en tremble, on ne reste pas indifférent.
Auteure : Lucie Michel
« Colère divine », exposition collective au Ceaac, 7 rue de l’Abreuvoir à Strasbourg. Jusqu’au 24 septembre, du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h, entrée libre.
Légendes photos © Lucie Michel