Felix Wysocki alias APAIZ : un graffeur Strasbourgeois inspiré, entre graff vandale et peinture engagée
Artiste, peintre et plasticien aux multiples aptitudes, Felix Wysocki est plus connu sous le nom d’APAIZ. Amoureux des arts figuratifs et du travail minutieux de l’image, il est de ceux qui prennent le temps de créer des fresques monumentales, quelque part où l’on n'ira jamais le chercher. Nous lui avons donné rendez-vous quelque part en périphérie de Strasbourg, entre des rails de train et une friche industrielle, pour qu’il nous montre son univers et une partie de sa graffothèque.
Felix Wysocki est un jeune artiste peintre de 31 ans. Strasbourgeois d’adoption, il a sillonné les rues et les terrains vagues pendant des années avant de se trouver et de devenir APAIZ.
Graffeur autodidacte, devenu élève aux beaux-arts de Brest, puis de Séville, il apprend la gravure, le dessin, la vidéo puis la photo, et les heures de théories qui lui sont enseigné lui permettent de poser peu à peu une réflexion de plus en plus grande sur son art et les messages qu'il souhaite transmettre. Ce temps de théorie, il le met au profit de son art en poussant la réflexion sur les messages qu’il souhaite transmettre. Après 2 ans aux arts déco de Strasbourg d’où il sort diplômé en 2016, il développe des projets plus personnels et veille à ce qu’ils soient ambitieux, cohérents, pertinents et engagés.
Au fil des années, il arpente les lieux de créations calmes, parfois isolés de tout, et de la bombe, il passe au rouleau de peinture.
À l’inverse des graffeurs « puristes », comme il les surnomme, qui cherchent la prise de risque, l’adrénaline et la visibilité, en graffant rapidement une rame de métro ou un toit d’immeuble, lui préfère les murs aux grands formats, à l’abri des regards. Il peut y prendre le temps de s’exprimer librement, de prendre du recul sur son sujet, de poser un autre regard sur le pourquoi et le comment.
Aujourd’hui, Felix vit de son art, réalise des commandes pour des institutions ou des entreprises, il donne des cours, réalise des performances de live painting, des fresques participatives et il vend également des tableaux. Il est de ces hommes heureux qui vivent pleinement de leurs créations.
Mais si aujourd’hui, nous le retrouvons à l'air libre, sur des rails et sous les ponts, c’est que ces spots-là sont ses plus sincères terrains d’expression.
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Des peintures monumentales qui jouent avec la lumière du soir
En arrivant sur place sur un chemin de fer désaffecté, nous rencontrons APAIZ qui nous propose de marcher un peu à la découverte de son terrain de jeu.
Une histoire de poissons
Très vite, à peine cachés par des herbes folles, nous tombons nez à nez avec la première œuvre du jour : une peinture réalisée lors du jour du dépassement représentant des poissons, qui dénonce notamment la surpèche et l'exploitation intensive des fonds marins.
Le message est clair, les couleurs le sont tout autant, et au milieu de la fresque on peut lire ceci : « Vivre à Crédit ». Ici, comme sur bon nombre de ses créations, APAIZ associe l’image à un message personnel adressé aux visiteurs.
Tiffany
À quelques dizaines de mètres plus loin, nous tombons sur l’œuvre que nous sommes venus voir : une peinture que nous avions déjà vu sur les réseaux mais qui prend une toute autre dimension avec la lumière du soir.
Avec ses 6 mètres de large et ses 5 mètres de haut, elle impressionne. Ses couleurs, sa dimension, sa composition, on a du mal à quitter Tiffany du regard (son amie qu’il a représentée ici d’après une photographie).
Il nous touche un mot sur cette impressionnante réalisation :
« Ici, on voit une œuvre que j’ai réalisé en collaboration avec le graffeur Maxime Ivanez. C'est une composition d’un paysage fictif et d’un personnage que l’on a souhaité central. La lumière de cette ville inventée, reflète sur le visage de mon amie Tiffany. Au milieu de la fresque, on peut aussi lire « Maintenant Sinon Rien », car j’aime ajouter un message à mes peintures. Je les trouve en détournant des paroles de chanson, je les déniche dans des livres ou dans des recueils de poésie. Mais ce qui est fou avec cette œuvre, c’est qu’on a peint cette fresque il y a déjà des années avec Maxime, mais qu’elle n’a jamais été recouverte. Sachant que le spot est connu de nombreux artistes, c’est quand même assez étonnant ».
Portaits aux visages blancs
Plus loin, après 15 bonnes minutes de marche dans un lieu où la biodiversité et les abeilles qui butinent croisent des piles de déchets industriels, c’est une toute autre représentation, réalisée avec une technique très différente, que nous croisons.
« Il y a quelques années, j’ai travaillé en tant qu’auxiliaire de vie. Je n’avais pas trop de sous et je voulais représenter les personnes dont je m’occupais, et il me fallait de la place. Alors, j’ai pris une bombe blanche et un pot de peinture noire que j’ai bien diluée à la flotte, et j’ai peint ces personnes que tu peux voir. Je voulais peindre dans le détail sans trop en faire non plus, alors j’ai suivi les lignes des rides ou les expressions de ces personnes que j’ai photographié. Là aussi, ça m’étonne que personne ne soit repassé dessus, il y a même un graffeur qui s’est emmerdé à prendre une échelle pour peindre au-dessus de ma fresque. »
La Jam Session
Enfin, plus loin, nous tombons sur un mur de plusieurs dizaines de mètres de long entièrement graffé, un objet d’art comme il y en a peu ou pas à Strasbourg. Felix explique que c’est ici que se retrouvent des dizaines de graffeurs de France, une fois par an, pour ce que l’on appelle une Jam Session.
« Chaque année, on essaye de faire une Jam Session. Je ne sais pas si c’est totalement autorisé, mais en tout cas, on est parfois plus d’une centaine de graffeurs de France et d’ailleurs pour colorer ces murs le temps d’une journée. On se retrouve ici, on s’approprie l’espace, c’est un vrai festival. Et ce qui est bien avec des lieux comme celui-ci, c’est non seulement qu’ils restent à l’abri des regards, mais aussi qu’ils sont le terrain d’expérimentation idéale. Ici, on peut tester les outils, gérer son espace, faire varier les dimensions de son œuvre, leurs perspectives, c’est parfait pour se faire la main et progresser. ».
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Un lieu d’évasion
Notre rendez-vous en terre inconnue s’achève. Sur le chemin du retour, en repassant devant les œuvres monumentales d’APAIZ qui colorent le paysage à la lumière du soir, nous nous rendons compte qu’ici, nous sommes sur son terrain de jeu à lui, son sanctuaire d’expression libre où il aime se rendre lorsqu'il le peut.
Avec le soleil qui projette des rayons de plus en plus orangés sur les murs, la jeune fille au regard tendre que nous avons croisé à notre arrivée rayonne aussi de couleurs de plus en plus chaudes, et la fresque prend encore une autre dimension. On s'arrête pour l'observer longuement une dernière fois.
Auteur : Bastien Pietronave