Qui est l'Alsacien d'aujourd'hui ?

A Strasbourg, le musée alsacien fait dialoguer des pièces de sa collection avec de nouvelles acquisitions pour tenter de cerner qui est cet Alsacien qui se cache ailleurs que sous sa coiffe.


Son beau regard doux est tourné vers le ciel à travers la fenêtre de son HLM : cette belle femme voilée est l’une de ces nouveaux Alsaciens qui vivent dans le sud de l’Alsace, photographiés avec une grande délicatesse par l’artiste haut-rhinoise Françoise Saur. Cette série d’images récentes faites à Saint-Louis ou Hésingue est présentée à côté d’une photo d’une autre Alsacienne, immortalisée un siècle plus tôt en coiffe, et d’objets évoquant l’Alsace d’autrefois. De manière à illustrer le fait qu’avant d’être une terre d’immigration, l’Alsace fut une terre d’émigration. Ou comment l’Alsace s’enrichit de ses brassages culturels…

Batorama - Museé Alsacien

Confite au XVIIIe siècle

Un musée ne se fige pas dans le passé et doit dépasser les clichés. C’est bien l’intention du musée alsacien de Strasbourg avec son nouvel accrochage « Nouvelles pistes », présenté jusqu’en mars 2023. Il s’agit ici de confronter des pièces historiques de la collection avec des acquisitions récentes pour les faire dialoguer. De raconter une autre Alsace que celle des clichés habituels, « confite aux XVIIIe et XIXe siècles », selon Marie Pottecher, responsable du musée. Et de s’interroger : qu’est-ce qu’on estime être alsacien ? 

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La tulipe turque

La tulipe, par exemple. On en découvre dès l’entrée du musée un beau spécimen stylisé sur une reconstitution d’un mur à colombage de 1823, entre les pans de bois. Elle est certes une représentation courante de l’Alsace traditionnelle. Mais elle est aussi un symbole très fort en Turquie, découvre-t-on dans le livret Regard sur le monde, qui accompagne ce parcours. C’est d’ailleurs de ce pays qu’elle fut importée en Europe au XVIIe siècle, dont elle est un motif récurrent dans l’art turc du papier marbré. 
Le livret regorge d’autres histoires : celle de l’origine de la pomme de terre et de son arrivée en Alsace, celle de l’interdiction de filer les fibres textiles, celle du pain trempé dans le chocolat... 


Steam-punk et traditionnel

C’est une tendance de fond dans les musées de traditions d’art populaire depuis 30 ans, indique la conservatrice, que de ne plus montrer l’image figée d’un territoire. Les musées tentent de parler du territoire d’aujourd’hui. Ce nouvel accrochage de quelque 70 pièces, anciennes ou contemporaines, d’artistes alsaciens ou non, montre comment certains outils et objets ont traversé le temps, telle... la robe de mariée.
Entre codes steam-punk et traditionnel, un modèle contemporain, signé des stylistes Du côté de chez Souen, est tout à fait à sa place dans le décor attendu de la Stub d’une ferme du Kochersberg du XIXe siècle. Tout comme, juste à côté, les poteries contemporaines et anciennes qui dialoguent dans une évidence de style. 

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Traditionnelle et steamer à la fois, parfaitement à l’image de cette robe de mariée alsacienne contemporaine. ©Lucie Michel

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Connectés avec l’Iran...

Découvrir que les traditions alsaciennes ne sont pas… typiquement alsaciennes : voici de quoi s’ouvrir l’esprit ! Partant de la tradition du Schieweschlawe – le lancer de disques enflammés à l’équinoxe de printemps-, le musée montre que d’autres coutumes du même ordre existent ailleurs dans le monde, notamment en Iran, exactement à la même période. Là-bas, on a coutume de sauter sur de petits feux pour se protéger des forces néfastes. 

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Les objets les plus représentatifs de l’Alsace montrent aussi comment la région est reliée au monde. Ainsi du contenu du baeckaoffa… ©Lucie Michel


...et avec le Brésil

Témoins aussi ces ex-voto si courants en Alsace, bien que décriés par la religion. Certains, en métal et en forme de crapaud, ont été enterrés par des femmes au pied d’une croix à Villé au début du XXe siècle dans l’espoir divin de doper leur fertilité. Typiquement locaux, ces ex-votos ? Du tout ! 
De nombreux autres ont été retrouvés au Brésil, dans une similarité de formes frappante, en bois ou en céramique. Mais contrairement au caractère dissimulé des ex-voto en Alsace, ils sont offerts à l’Église en remerciement d’une promesse ou d’un espoir tenus.


Vidéo sur marqueterie

Outre cet objectif de mettre en évidence les liens qui unissent la culture alsacienne avec celle d’autres territoires, le musée cherche à montrer que tradition et création ne s’opposent pas. D’ailleurs, l’un des fondateurs du musée alsacien, au début du XXe siècle, dans un contexte de folklore politisé, n’était-il pas le créateur Charles Spindler ? En hommage à ce célèbre artiste ébéniste alsacien, une vidéo hypnotique d’Étienne Hubert, œuvre de 2018, donne vie à une marqueterie. Représentant le Hartmannswillerkopf, lieu de batailles sanglantes lors de la Première Guerre mondiale, celle-ci a été réalisée à partir d’une photo de cette époque. Elle devient le support d’une vidéo tournée sur les lieux un siècle plus tard.  
D’autres œuvres d’artistes contemporains relient passé et présent : vidéos de Sonia Verguet et Marie Prunier, photos d’Anne Immelé, céramiques d’Harmonie Bégon, installation de Marine Froeliger…

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Œuvre de 2018, cette marqueterie sert de support à une vidéo, leçon d’une histoire sanglante. ©Lucie Michel


Alsacien ou pas ?

Et pour s’interroger sur cette identité alsacienne d’aujourd’hui, le musée ne compte pas que sur lui-même mais s’ouvre à tous ceux, habitants et visiteurs, qui souhaitent abonder sa réflexion. Trois ateliers participatifs sont encore proposés jusqu’en mars, après un premier qui s’est demandé comment présenter le territoire alsacien au musée. Les participants sont invités à échanger avec l’équipe du musée sur différents thèmes. 
Samedi 11 novembre : « Des objets qui nous racontent, ou quels objets pour parler de notre quotidien dans l’Alsace d’aujourd’hui ? » Samedi 4 février 2023 : « Alsacien ou pas ? », histoire de dépasser certains clichés. Samedi 4 mars 2023 : « Regards sur le monde, ou comment aborder la diversité culturelle depuis l’Alsace ? » 

Autant de pistes pour tenter de saisir qui est vraiment l’Alsacien d’aujourd’hui, héritier d’un passé qui nourrit une culture en work in progress.


Auteure : Lucie Michel
Au musée alsacien, 23-25 quai Saint-Nicolas à Strasbourg, jusqu’au 31 mars 2023, tous les jours sauf mardi et jeudi. Tarifs : 3,50 et 7,50 €. Ateliers participatifs de 10 h 30 à 12 h, au prix d’entrée du musée.