Musica : qui suis-je dans la musique ?

Pour son 40e anniversaire, le festival de musique contemporaine de Strasbourg innove en proposant notamment des concerts pour un seul spectateur. 

Comment chacun approche-t-il la musique ?

Cette question est centrale dans l’édition 2022 du festival Musica qui s’articule autour de l’intimité. Il est ici question du spectateur, de l’auditeur, du musicien : qui sommes-nous entre les notes ? Cette édition donne à entendre de nombreuses œuvres faisant pénétrer dans l’intimité des compositeurs ou renvoyant, par la forme du concert, à sa propre intimité et à sa manière de recevoir la musique. Mais qui écoute-t-on au juste? Et qui devient-on, en introspection dans la musique, face aux musiciens? Musica propose des aller-retour entre soi et les autres. De nombreux spectacles sont d’ailleurs prévus dans des salles à petite jauge. Attention, programme à haute diversité dans les propositions !

Concerts pour soi

La grande nouveauté de cette édition est la proposition de concerts pour soi, pour soi vraiment tout seul, et dans des lieux improbables du centre-ville, rarement ouverts au public. Tout reste secret, aussi bien le répertoire que l’interprète ou le lieu. Mais que le curieux se rassure : il sera avisé la veille du lieu et de la programmation qui lui sont réservés. Tout ce que l’on peut d’ores et déjà dévoiler est que des instrumentistes de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg sont mêlés à l’affaire...De multiples créneaux sont proposés tout au long de la journée, du mardi au dimanche, du 16 au 29 septembre. L’idée ? Écouter une lecture du répertoire contemporain en toute intimité face à l’interprète et se laisser aller à la magie qui ne manquera pas d’opérer. Tarif unique : 10 €.

Des concerts pour soi tout seul sont proposés toute la journée. ©Julien Pétin
Des concerts pour soi tout seul sont proposés toute la journée. ©Julien Pétin

[LIRE AUSSI >> Festival Colors : Strasbourg s'égaie]

Dans la loge de l’artiste

Autres temps forts : les spectacles liés à des parcours de vie d’artistes. A découvrir notamment, l’étonnante opérette contemporaine Personnel et confidentiel, une performance du contre-ténor Daniel Gloger, sur une musique de Kaj Duncan David, représentée au TNS les 18 et 19 septembre. Le spectateur est accueilli dans sa loge par la star de la soirée, une coupe de champagne à la main. Celle-ci raconte sa journée de contre-ténor, ses ambitions, ses petits tracas. Ces confidences sentent bon, posent aussi la question de savoir si l’on est vraiment maître de son destin. Puis elles dérivent vers un univers bien plus trash…

Personnel et confidentiel, où comment entrer dans la loge d'un contre-ténor.
Personnel et confidentiel, où comment entrer dans la loge d'un contre-ténor. ©Smail Ovic

Parcours intimes dévoilés

Très intime aussi est le spectacle Journal de bord, d’Alessandro Bosetti. Au TJP Grande scène (le 20 septembre), une composition pour voix, électronique, guitare électrique, shimasen, clarinettes et percussions. Le compositeur a retrouvé le journal de bord de sa mère, partie en laissant ses jeunes enfants pour vivre l’aventure sur un voilier. Quelques décennies plus tard, le compositeur en fait la matière d’une autobiographie musicale, travaillant sur des enregistrements vocaux de sa mère, y superposant sa propre voix. On est là au croisement du théâtre musical et du feuilleton radiophonique. 

[LIRE AUSSI >> Longevity Festival 2022 : Immersion dans un festival qui a tenu toutes ses promesses]

La contrebasse tombée des mains

Autre projet de l’intime, celui de la contrebassiste Joëlle Léandre, au titre impossible à retenir et pourtant immédiatement repérable : la contrebasse m’est tombée des mains à l’âge de neuf ans et depuis je tisse sans cesse des histoires, des liens, des aventures, en totale liberté, avec le feu qui est en moi, c’est ainsi… (le 26 septembre au TJP Grande scène, présenté avec le festival Jazzdor). La musicienne dit tout de son instrument. Elle livre une autobiographie en live, partageant la scène avec une chanteuse, un guitariste et un batteur. 

La performeuse écossaise Genevieve Murphy évoque, elle, la fête d’anniversaire de ses neuf ans dans un seul en scène, I don’t want to be an individual all on my own (les 24 et 25 septembre au Centre chorégraphique de Strasbourg). L’enfant qu’elle était alors avait créé (déjà) la bande-son de cette fête. Les spectateurs s’immiscent dans cette tranche de vie familiale avec des casques sur les oreilles. Sur scène, l’artiste donne vie à ce théâtre sonore qui mêle récit intime, poésie sonore, musique électro-pop et ASMR (Réponse sensorielle méridienne autonome, visant à favoriser la détente). 

Un compositeur italien a fait du journal de bord de sa mère la matière d'un théâtre musical.
Un compositeur italien a fait du journal de bord de sa mère la matière d'un théâtre musical. ©Alessandro Bosetti

Au creux des stars

Les stars de cette édition n’hésitent pas à se dévoiler. Telle la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, invitée d’honneur du festival, qui présente trois œuvres intimes. Opéra à la croisée du théâtre nô et de la scène contemporaine, Only the sound remains (16 et 18 septembre au Maillon) est « un ouvrage intime pour une grande salle, avec une instrumentation restreinte qui comprendrait des flûtes pour prolonger le souffle humain et le chant des oiseaux », selon l’artiste. Kaija dans le miroir (17 septembre au Palais des fêtes) est un moment en deux temps : la projection d’une captation d’opéra de l’artiste créé au festival d’Aix-en-Provence en 2021, suivie d’un concert retraçant sa vie à travers quelques-unes de ses œuvres marquantes.

La compositrice finlandaise, invitée d'honneur du festival, présente trois oeuvres intimes.
La compositrice finlandaise, invitée d'honneur du festival, présente trois oeuvres intimes. ©Kaija Saariaho

Clôture à Nancy 

Les deux autres compositeurs « stars » du festival sont le compositeur Georges Aperghis, qui signe Migrants, interprété par l’Ensemble Resonnanz (concert d’ouverture le 15 septembre au Palais des fêtes), inspiré d’un texte de Joseph Conrad, et Heiner Goebbels, qui présente un spectacle de théâtre musical pour 18 musiciens, Noir sur blanc (les 23 et 24 septembre au Maillon). Habitué de Musica, le premier signe également La construction du monde (les 17 et 18 septembre), création de 2022, histoire de solitude et de désœuvrement. 
Enfin, le week-end de clôture se déroule à Nancy avec trois jours de performances et de concerts, notamment sur la place Stanislas. Steve Reich n’est pas loin ; la compositrice-chanteuse Claire Diterzi invite à un Concert à table (le 1er octobre), sans artifice ni amplification, comme si elle entrait dans l’intimité de votre cuisine.

 

Lucie Michel

Festival Musica du 15 septembre au 2 octobre, dans divers lieux à Strasbourg et à Nancy. Programme complet sur https://festivalmusica.fr/programme
Tarifs : de 6 € à 20€. Carte Musica : 26 € (pour bénéficier d’un tarif de 10€ par billet). Billetterie : 11 rue Mercière à Strasbourg du mardi au samedi de 13h à 18h et à l’entrée des salles 30 minutes avant le spectacle.