Qui n’aime pas balancer des anecdotes historiques insoupçonnées, juste histoire de briller en société ? On adore les raconter aux beaux-parents pour avoir l’air moins idiot. pas vrai ? Celle dont nous allons parler aujourd’hui est une bonne vieille pépite, plutôt méconnue.
Et pourtant elle s’est réellement déroulée même si on en parle peu. Non, nous n’allons pas parler de Jimmy Hendrix qui a joué dans un hall au Wacken en 1969 devant trois pélos, mais bel et bien de cette histoire, peu commune, réunissant des éléments emblématiques : le pape, les années 80, l’Europe, le stade de la Meinau, et le Parlement. On vous explique.
Nous sommes le samedi 8 octobre 1988. Le Pape Jean-Paul II, connu pour son incroyable longévité, ses combats menés à travers le monde et sa force de caractère, se rend du Vatican à Strasbourg pour ce que l’on appelle un pèlerinage apostolique. Il se rend alors au Stade de la Meinau pour la messe du dimanche et s’adresse à une foule absolument colossale venue là pour écouter la parole sainte. En effet, ce jour-là, pas moins de 44 000 personnes seraient venues de tous les horizons dans un stade réquisitionné pour l’occasion. Rappelons que la capacité actuelle est d’environ 26 000 places, ahh les années 80…
En ce jour exceptionnel pour les croyants Alsaciens, le pape met en avant la riche historique de la ville, sa fondation, il évoque la notion de mémoire et le passé chrétien. Il parle du Rhin et de son rôle au cœur du carrefour de l’Europe. Le jour même, à bord du bateau le Strasbourg de Batorama alors Strasbourg Fluvial, le Pape a sillonné le Rhin et les bassins du port pour bénir les bateliers. A cette occasion, une cage de verre avait été spécialement construite pour sa protection.
Lors de son homélie, il évoque aussi la souffrance du peuple Alsacien par le passé, sa ténacité et sa capacité à célébrer et à conserver les traditions anciennes. Voici quelques extraits du discours tirés du document officiel du Vatican, l’homélie du pape Jean-Paul II à Strasbourg.
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« Deux mille ans ont passé depuis la fondation de Strasbourg, Argentoratum au temps des Romains. Et combien de jours ont passé !
Ce calcul du temps humain, le décompte historique, nous l’avons tous en mémoire quand nous nous réunissons aujourd’hui en assemblée eucharistique, en disciples de notre Seigneur Jésus-Christ. Demeurée place forte sur la route du Rhin, comme le dit son nom de Strasbourg, votre ville a reçu le baptême dès l’antiquité chrétienne. Autour de son évêque, elle a traversé le haut Moyen Age en formant sa personnalité dans ce carrefour européen.
Le rythme du temps a été aussi celui des conflits et des épreuves. Strasbourg et l’Alsace ont souffert, mais ont mûri leur fidélité à cette terre féconde. Le peuple de la province a su forger sa propre tradition et bâtir villes et villages, par le labeur tenace de ses mains, par l’ouverture de son esprit aux civilisations de l’Est et de l’Ouest. Nous avons en mémoire ce long passé chrétien, marqué par la foi des familles et des paroisses, par les ruptures et les réconciliations, par les élans de la sainteté et l’audace missionnaire. En célébrant le bimillénaire de Strasbourg, tout l’archidiocèse a désiré accueillir le successeur de Pierre, Apôtre de l’Evangile. Je vous salue au nom du Seigneur, peuple de Dieu, Eglise en Alsace ! Et je salue vos frères et sœurs de l’autre rive du Rhin. »*
Un discours marquant adressé à une union européenne en construction, 3 jours plus tard au Palais de l’Europe (1)
Le 11 octobre, 72 heures après son arrivée à Strasbour où il a été accueilli par François Mitterrand, le pape s’adresse au Parlement Européen. Dans un discours exceptionnel et extrêmement moderne pour l’époque (nous sommes en 1988), le pape porte sa parole non seulement à la jeunesse européenne qu’il a déjà rencontré le samedi soir au stade de la Meinau, mais surtout il interpelle directement dirigeants et députés européens eux-mêmes. Jean Paul II, un an avant la chute du mur de Berlin, questionne ici une Communauté Européenne qui deviendra Union Européenne 4 ans plus tard. Elle ne compte alors que 12 états membres contre 27 aujourd'hui, preuve de sa vocation à s’étendre dans un but de paix, de fraternité, et d’union entre les peuples.
(1) Le bâtiment Louise Weiss qui abrite aujourd'hui le Parlement européen de Strasbourg a été inauguré en 1999. Depuis sa création c'est l'émiscicle du Conseil de l'Europe qui arbitait les séances du Parlement européen.
Ce discours est bien sur fédérateur, prône évidemment la paix en évoquant les souvenirs douloureux de la guerre, mais aussi une dimension éminemment politique. La religion catholique, à travers son plus prestigieux porte-parole, le pape lui-même, se place ainsi sur le devant de la scène diplomatique comme le vecteur de l’union des peuples et des cultures autour de la chrétienté. La construction d'une Europe plus forte et plus unie serait le meilleur moyen de diffuser ces valeurs dans le monde. C’est un discours de paix, humaniste et progressiste, où religion et politique s'entrmêlent subtilement. Enfin, et c’est l’une des signatures du pape Jean-Paul II, celui-ci marque également son soutien aux pays émergents pour lesquels il a toujours oeuvré. Il sort du cadre de l’Europe pour rappeler que l’urgence humanitaire est ailleurs et qu’il faut plus que jamais aider son prochain et ne pas rester centrer uniquement sur soi et sa communauté.
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« Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, le Saint-Siège n’a pas cessé d’encourager la construction de l’Europe. Certes, l’Eglise a pour mission de faire connaître à tous les hommes leur salut en Jésus-Christ, quelles que soient les conditions de leur histoire présente, car il n’y a jamais de préalable à cette tâche. Aussi, sans sortir de la compétence qui est la sienne, considère-t-elle comme son devoir d’éclairer et d’accompagner les initiatives développées par les peuples qui vont dans le sens des valeurs et des principes qu’elle se doit de proclamer, attentive aux signes des temps qui invitent à traduire dans les réalités changeantes de l’existence les requêtes permanentes de l’Evangile. Comment l’Église pourrait-elle se désintéresser de la construction de l’Europe, elle qui est implantée depuis des siècles dans les peuples qui la composent et les a un jour portés sur les fonts baptismaux, peuples pour qui la foi chrétienne est et demeure l’un des éléments de leur identité culturelle ? (…) Nul n’imagine qu’une Europe unie puisse s’enfermer dans son égoïsme. Parlant d’une seule voix, unissant ses forces elle sera en mesure, plus encore que par le passé, de consacrer ressources et énergies nouvelles à la grande tâche du développement des pays du tiers-monde ». L’homme de ce temps, en Europe, (…) a des biens matériels, inégalement partagés il est vrai, mais plus abondants que pour beaucoup de ses frères dans le monde ; il s’y attache, il emploie beaucoup de ses forces à les augmenter. (…) L’homme se garde pour lui-même, et il ne sait plus donner. »**
* Lire l'homélie du pape Jean Paul II
** Lire le dicours du pape Jean Paul II lors de sa visite au Parlement européen
Auteur : Bastien Pietronave