Pirogues et crocodiles chargés de personnages et d'esprits font vibrer un monde onirique au musée Vodou de Strasbourg qui convie les visiteurs à un voyage spirituel au fil des eaux du Bénin.
Esprits qui est là
Esprit cartésien et critique, éloigne-toi ! Les pirogues, les crocodiles et les pirogue-crocodiles du culte vodou de la collection Arbogast, actuellement présentés dans le cadre de l'exposition Pirogues- Todjivu (pirogue en langue fongdé), sont des objets parfois – souvent – incompréhensibles aux yeux du visiteur, mais qu'importe. Leur beauté, leur force et leur exubérance vibrante convie à un voyage aux portes de l'imaginaire que chacun fait à son gré.
« Invoquant les esprits du monde, ces objets de recueillement témoignent de la créativité des populations animées par la pensée vodou. Certains de ces objets, sortis pour la première fois des réserves du musée, plongent le regard dans les zones lacustres et maritimes de l’ancien Royaume du Dahomey », indique Jean-Yves Anezo, commissaire de l'exposition.
Comme le vodou est principalement pratiqué au Bénin et au Togo (un peu moins au Ghana et au Nigéria), les 22 objets présentés proviennent surtout du Bénin et sont accompagnés d'une série de photos nébuleuses de Julien Gérard, prises sur le lac Ahémé au Bénin, et de proverbes locaux liés à l'eau.
[LIRE AUSSI >> LES CROISIERES TODJIVU]
Eau source de vie et chemin vers la mort
« La pirogue revêt une grande importance, reflet de la place de l'eau liée au quotidien, à l'environnement végétal et animal, à la nourriture, à l'esclavage aussi. Elle est associée aux esclaves qui partaient et ne revenaient jamais. On fabriquait alors des pirogues en bois où l'on installait des fétiches et des esprits pour eux », explique Adeline Beck, administratrice du musée. Outre les pirogues, les pirogues-crocodiles – des crocodiles faisant office de barque pour emmener les morts- sont des objets funéraires pour rendre hommage à un mort. Telle la pirogue des crocodiles siamois, pour les enfants noyés ou mangés par un crocodile. « Cette pirogue votive évoque la mort du fait du retournement du crocodile. »
Pour initiés seulement
L’expérience esthétique que procurent les pirogues n'est pas destinée au public, mais à ceux qui habitent le monde invisible. C’est pour eux que le sculpteur crée des compositions assez invraisemblables. Invraisemblables ? On y trouve par exemple un jumeau à double tête, des plantes, des haches, des personnages anthropomorphes, d'autres à tête de crocodiles, des Janus, des cloches...
Très énigmatiques, ces objets n'avaient pas vocation à être exposés devant un public, mais étaient déposés dans des couvents, à l'abri des regards. Telle cette grosse pirogue, longue de près d'un mètre, dite de la Femme à la hache, créée en l'honneur d'une Houédossi, l’une de ces femmes initiées au culte du vodou Dan (le dieu python), et chargée de relier la Terre au ciel. « On honore ces objets lors de la cérémonie d'installation de la prêtresse », précise Adeline Beck.
[LIRE AUSSI >> L'OEUVRE DE JEAN-JACQUES HENNER AU MUSEE DES BEAUX-ART DE STRASBOURG]
Bébés jetés à l’eau
Après la découverte de pirogues et de pirogues-crocodiles, le visiteur est confronté naturellement à ...des crocodiles. Etranges créatures à deux, voire quatre têtes, ils embarquent eux aussi plusieurs divinités, symboles de destruction autant que de protection de la vie. En témoigne un superbe crocodile en bois, aux yeux peints, un œuf blanc coincé entre ses crocs, embarquant la divinité Atchakpa. S'apprête-t-il à dévorer l'oeuf ? « Non, il va le mettre dans un nid pour le protéger, comme le font les vrais crocodiles. »
Bien plus surprenant encore, un vodou Tohossou est destiné aux enfants malformés : composé de quatre bras, dont un en forme de crocodile et les trois autres terminés par des têtes, il arbore une poitrine de femme et un fier sexe masculin. « Quand des enfants anormaux naissent, on les jette à l’eau en espérant qu’ils renaîtront sous une forme normale. »
Proverbes
Dans cette effusion de symboles et de codes, certes impénétrables mais fourmillant de vie, la magie d'une spiritualité aussi omniprésente opère indéniablement et invite à refaire une plongée dans le monde bavard des pirogues et de leurs compères les crocodiles. « N'insulte pas le crocodile avant d'avoir traversé la rivière », rappelle avec humour un proverbe.
Conférences
20 janvier 2022, 19 h, entrée libre : « Le voyage dans l’au-delà à bord des barques funéraires », par Marc Arbogast, collectionneur et fondateur du Château Vodou, sur la mort, le culte des ancêtres et les cadavres.
24 février 2022 à 19 h, en bateau-croisière Batorama, 10 €, « L’eau, un élément spirituel central du culte vodou », par Kéfil Houssou, guide-conférencier. La représentation de l’eau fait appel à la religion, à la spiritualité, aux mythes et aux légendes, aux rituels.
24 mars 2022, 19 h, entrée libre : « Donner forme à l’invisible : la plasticité des Pirogues - Todjivu », par Ana Carolina Gonzalez Palacios, historienne de l’art. Pour découvrir ces constructions esthétiques qui servent à donner une forme visible de l’invisible et pour comprendre la place de ces objets rituels.
28 avril 2022, 19 h, sur un bateau-croisière, 10 €, « Serpent sacré et cultes vodous », par Jean-Yves Anezo, commissaire de l'exposition. L’association singulière du serpent et de l’arbre, tout comme le symbole de « l’Ouroboros », se rencontre ailleurs que dans la région du Sud Bénin.
10 mai 2022, 19 h, sur un bateau-croisière, 10 €, « À bord d’un navire négrier : le passage du milieu *», par Jean-Yves Anezo. Pendant quatre siècles, le commerce des esclaves s'est fait sur des navires modifiés ou spécialisés. *Pour la journée nationale des mémoires de la traite de l’esclavage et de leur abolition.
Lucie Michel
Musée vodou, 4 rue de Koenigshoffen à Strasbourg. Visites guidées les 10 janvier 19h (à l’occasion de la fête du vodou au Bénin), 30 janvier et 27 février à 14h30, 11 mars à 19h. 14€ (20 € incluant un tour en Batorama à une date au choix).
Visites guidées en famille (dès 6 ans) : mercredis 9 février et 20 avril à 15h. 11 € (20 € incluant un tour en Batorama à une date au choix).
Pour les conférences-croisières, réserver sur le site www.batorama.com